«Quoi? Samsung va prendre 3% de Sharp? Mais arrêtez ça tout de suite!», s'inquiète un internaute japonais. En invitant son rival sud-coréen à sa table, Sharp s'assure un bon client, mais des analystes craignent qu'il ne fâche Apple, autre acheteur de poids et ennemi juré de son convive, et qu'il ne laisse filer des technologies uniques d'écrans.

Les investisseurs de la Bourse de Tokyo se sont à l'inverse réjouis des informations éventées dans la presse dans la nuit de mardi à mercredi: ils se sont précipités sur l'action Sharp dès l'ouverture des cotations, certains que l'annonce officielle allait suivre. Bingo!

À peine la place financière fut-elle clôturée que Sharp publiait un communiqué confirmant un accord d'entrée dans son capital du mastodonte Samsung.

Les acteurs des marchés estiment que l'apport de fonds et le soutien de Samsung sont une très bonne chose pour les affaires du pionnier des écrans à cristaux liquides (LCD). Avec un partenaire aussi costaud, doublé d'un client numéro un mondial des TV et smartphones, les usines de Sharp auront pour longtemps de quoi tourner à plein régime, arguent-ils.

Mais des analystes et journaux davantage sceptiques se posent la même question: comment Sharp va-t-il jongler entre son nouvel actionnaire et le groupe américain Apple, deux ennemis qui ne se parlent que par tribunaux interposés ?

Apple est en effet un des meilleurs clients des écrans de smartphones et tablettes fabriqués par Sharp, lequel s'est publiquement engagé mercredi à fournir Samsung de façon régulière et à long terme.

«Le partenariat Samsung-Sharp pourrait avoir de mauvaises conséquences sur l'évolution des relations client-fournisseur entre Apple et Sharp, si le groupe américain craint des fuites d'informations sur ses produits", écrit un analyste du groupe d'informations économiques Nikkei.

L'annonce de mercredi a en outre déchaîné les passions des férus des produits Sharp "made in Japan", moins sensibles aux questions pécuniaires et plus sentimentaux voire, pour certains, un rien nationalistes, au point de remuer parfois les querelles nippo-coréennes héritées de la guerre.

«Annonce de la liquidation de Sharp», ironise un internaute avant de renvoyer vers le titre de la presse «Samsung investit dans Sharp».

«C'est la mort d'IGZO!». Beaucoup s'inquiètent aussi pour les technologies de Sharp, entreprise centenaire qui fut la première, au début des années 1970, à industrialiser la fabrication d'afficheurs à cristaux liquides, d'abord pour des calculatrices, jusqu'à d'immenses téléviseurs aujourd'hui.

Récemment, nombre de sociétés étrangères lorgnent sur sa technologie de dalles LCD IGZO, qui tire son nom des matériaux semi-conducteurs utilisés: oxydes d'indium, gallium et zinc. Ils permettent de créer des matrices de transistors en couches minces (TFT) plus fines et beaucoup moins voraces en énergie que celles réalisées en silicium amorphe pour les écrans dits a-Si TFT-LCD.

«Pourquoi surgit Samsung, alors que Sharp s'entendait bien avec Apple? Il va se faire bouffer ses technologies!», s'énerve sur Twitter un nommé Zlidnet.

Autre source d'inquiétude, les relations que le groupe nippon va entretenir avec d'autres partenaires récents, comme le taïwanais Hon Hai à qui il a vendu la moitié d'une usine de dalles-mères LCD géantes, avant que ne capotent de facto des négociations avec lui sur un accord capitalistique.

Plus récemment, Sharp a accepté l'argent de la firme américaine de composants Qualcomm en échange de codéveloppements techniques.

«Il sera intéressant de voir de quelle façon Sharp gère des liens aussi complexes avec Hon Hai, Qualcomm puis Apple et enfin Samsung», s'interroge un analyste de Vivendi Capital.

D'aucuns pensent néanmoins que Samsung pourrait d'ores et déjà songer à prendre davantage de parts dans Sharp.

Inversement, du point de vue stratégique, les pouvoirs publics japonais pourraient décider de venir au secours de Sharp dans le cadre de la stratégie de croissance de l'archipel et pour éviter la dispersion des technologies à l'étranger, supputent aussi des analystes.