Le retrait, peut-être définitif, de Steve Jobs chez Apple, combiné à d'autres départs récents de «pionniers» de l'informatique et de l'internet, scelle symboliquement la fin d'une ère dont les origines remontent au mouvement «hippie» des années 1960.

L'annonce du congé de six mois pris par le PDG de l'entreprise à la pomme pour raisons de santé intervient après que son rival Bill Gates a quitté en 2008 son poste de dirigeant de l'autre géant du secteur, Microsoft, pour se consacrer à ses oeuvres philanthropiques.Jobs contre Gates, Macintosh contre PC, puis baladeurs numériques iPod contre Zune, la rivalité entre les deux camps a marqué la course à l'informatisation des masses depuis les années 1980.

Cette semaine a aussi été celle du départ d'un autre pionnier de l'internet, le cofondateur et PDG de Yahoo!, Jerry Yang, remplacé par Carol Bartz, 60 ans, à la solide expérience de gestionnaire.

«A bien des égards, nous sommes en train de sortir d'une ère pendant laquelle les personnalités définissaient l'entreprise», estime le consultant Rob Enderle, basé dans la Silicon Valley (Californie, ouest).

«On parle des gamins Google», les entrepreneurs d'une vingtaine d'années qui ont lancé les géants de l'internet à la fin des années 1990, «mais ces fondateurs sont-ils des icônes? J'aurais tendance à dire non», explique M. Enderle, pour qui «nous nous éloignons d'une époque où un visage résumait l'entreprise».

Jobs et Gates, tous deux nés en 1955, ont grandi pendant les années 1960, quand la génération du «baby-boom» a remis en question les fondements de la société, et cela les a marqués, selon Peter Friess, historien et président d'un musée de l'innovation technologique dans la Silicon Valley.

Les deux entrepreneurs ont abandonné leurs études pour construire des ordinateurs, d'abord de façon artisanale. L'histoire de Jobs et de son compère Steve Wozniak, qui ont élaboré leur première machine dans leur garage en 1976, fait partie de la légende.

«C'était une époque révolutionnaire. C'est toujours dans ce genre de circonstances que se révèlent des gens. Aujourd'hui, Google, Facebook et d'autres s'alignent bien plus sur le système. Les réseaux de socialisation n'ont pas changé le monde comme Jobs et Gates l'ont fait», assure M. Friess.

Ce dernier affirme que mettre l'informatique à portée des masses avec le Macintosh et le PC a concrétisé le slogan cher aux hippies «power to the people» (le pouvoir aux gens).

«A terme, je pense que l'on considèrera les dirigeants des portails de recherche de la même façon, mais (pour l'instant) ils font pâle figure», renchérit Coye Cheshire, professeur de communication à l'université de Berkeley (Californie).

Selon lui, les services proposés par Google et Yahoo! «n'ont été possibles et vraiment utiles que parce que nous avions les PC, les Mac, les iPod, Xbox, Zune, iPhone», machines sorties des laboratoires de Microsoft et Apple.

Si Bill Gates et Steve Jobs ont «personnifié la rivalité» entre leurs entreprises, ces deux firmes ne vont pas changer brutalement de stratégie après leur départ, selon Michael Cherry, de la société de consultants «Directions On Microsoft».

Il y a deux ans, les deux hommes avaient effectué une rare apparition commune lors d'une conférence en Californie. Ils avaient plaisanté sur leur rivalité et leur inimitié supposée. «Cela fait dix ans que nous sommes mariés en secret», avait affirmé Jobs.