Lunettes fumées sur le nez, tuque sur la tête, Erik Guay s'étirait le cou pour voir son coéquipier Jan Hudec monter sur la troisième marche du podium avec Bode Miller. Entre la joie de voir son ami réussir ce qu'aucun skieur canadien n'était parvenu à faire depuis 20 ans, et la déception d'être passé à côté de ses Jeux olympiques à Sotchi, le dernier sentiment l'emportait haut à la main.

«Je voudrais être super excité - et je le suis en un sens - , mais il y a cette déception incroyable de la façon dont j'ai skié», a admis l'athlète de Mont-Tremblant une heure après la fin de ce super-G remporté par le Norvégien Kjetil Jansrud.

Devant lui, Guay pouvait voir le mur final, où une approche hésitante lui a fait rater l'une des dernières portes. Mais sa course était déjà jouée à ce moment-là. Même avant ce retard d'une seconde au dernier intervalle.

Dans l'aire de départ, il ne parvenait pas à se mettre dans le bon état d'esprit. À la télévision, il a vu Miller réussir une autre de ses descentes d'équilibriste, ce qui allait valoir le bronze à l'Américain de 36 ans. Puis il a entendu les exclamations dans les radios quand Jansrud a réussi le meilleur temps.

Hudec s'élançait juste avant lui. Autre vrombissement au moment où l'Albertain a réussi à égaler le temps de Miller. À son tour de réagir. Mais la tête n'y était pas. «J'essayais de me motiver, j'essayais de me pomper, mais la sensation de pouvoir pousser n'était pas là, a constaté Guay. Tout de suite en partant, je me suis senti un peu off

Son frère décu

Stefan Guay s'en est aperçu sur-le-champ. Entraîneur dans l'équipe canadienne, particulièrement attaché au suivi de son frère, il était posté au bas du premier mur. Il n'a pas reconnu le skieur qui avait enchaîné les bonnes manches les jours précédents, ou même durant l'échauffement, une heure ou deux plus tôt.

«Erik n'a pas montré ce qu'il est capable de faire, ça, c'est sûr, a tranché Stefan. Je l'ai vu au deuxième piquet: la façon dont il skiait, ce n'était pas la façon dont il s'entraînait. Je ne sais pas si c'est mental, s'il avait un feeling différent ou s'il s'attendait à d'autres conditions. Mais la porte était ouverte pour lui.»

Manifestement ébranlé, Stefan Guay partageait la peine de son aîné. Lui-même un excellent skieur, ancien champion mondial junior, sa carrière s'est arrêtée abruptement à la suite d'une grave blessure à un genou. Devenir entraîneur de son frère lui permet de vivre sa passion par procuration, même si le deuil n'est pas achevé.

«Je vois comment il travaille fort, à quel point il était préparé, a dit Stefan. Le plus difficile pour moi, et encore plus pour lui, c'est que je suis certain à 100% qu'il est capable d'être sur le podium sans problème. Mais il ne l'a pas fait.»

Martin Rufener attendait Erik Guay juste sur la cassure du dernier mur. En entendant les écarts qu'on lui transmettait par radio, l'entraîneur-chef de l'équipe masculine savait que la cause était perdue. La porte ratée par son skieur n'a fait que confirmer ses appréhensions.

«Comme Svindal (le Norvégien malheureux 7e), tu pouvais voir qu'il plaçait plus ses skis, qu'il se donnait de la marge pour prendre le virage», a relevé le réputé entraîneur suisse. «Pour Jan, c'était différent. Il croyait en lui, il avait la confiance en lui pour prendre le risque.»

En décembre, cette conviction habitait Guay, ce qui l'a mené deux fois sur le podium en Italie, incluant une victoire à Val Gardena. Il est ainsi devenu le skieur canadien le plus décoré en Coupe du monde, surpassant les 20 podiums de Steve Podborski. Ce sentiment fragile s'est évaporé quand il a frappé un trou à Wengen, le 18 janvier. Un genou endolori lui a fait manquer deux semaines de ski et la descente de Kitzbühel.

Privé ensuite de la descente de Saint-Moritz, annulée en raison des conditions météorologiques, Guay n'a pas été en mesure de se remettre dans le rythme avant Sotchi. Aux JO, il a skié sur les analgésiques, ce qui l'a rendu «somnolent» et l'a fait se sentir «un peu bizarre».

Dixième à la descente dimanche dernier, il avait été défavorisé par son dossard. Au super-G, même en partant 22e, la chance était là. Jansrud et Hudec l'ont prouvé avant que le casse-cou américain Andrew Weibrecht, parti 29e et médaillé d'argent, ne vienne confirmer la qualité du parcours malgré la chaleur. «Mon ski n'était pas là, je n'ai que moi à blâmer», a dit Guay.

Ses derniers Jeux?

Steve Podborski multipliait les entrevues. Le chef de mission de l'équipe canadienne racontait à quel point il est difficile de gagner une médaille olympique en ski alpin. Médaillé de bronze en descente en 1980, il était le seul à avoir réussi l'exploit avant qu'Ed Podivinsky ne l'imite à Lillehammer, en 1994. Ils sont maintenant trois.

À 32 ans, Guay, quatrième à Turin, deux fois cinquième à Vancouver, ne sait pas si l'occasion se représentera pour lui. Il abordera les prochaines années «une à la fois». Trois facteurs dicteront son avenir: sa santé, les résultats et sa famille. Sa femme attend leur troisième enfant du couple au printemps: «Mes enfants grandissent quasiment sans leur père six, sept mois par année. Ce n'est pas l'idéal.»

Après un arrêt à Zurich, il les retrouvera mardi à Mont-Tremblant. Ça lui permettra d'oublier un peu ce qu'il a vécu en Russie. «Ce n'est pas ce moment qui va définir ma carrière, a-t-il jugé. J'ai quand même une très bonne carrière, très constante.» Il aurait néanmoins donné cher pour être à la place de son ami Jan.