« Les camps de réfugiés, ce n’était pas facile. J’aurais pu mourir, honnêtement. »

Cet aveu, Jojea Kwizera le prononce en fronçant les sourcils. L’attaquant du CF Montréal avait jusque-là gardé le sourire pendant tout son entretien avec La Presse, assis près des terrains du Centre Nutrilait. Même en se remémorant de douloureux souvenirs. Mais son ton vient de devenir plus sérieux.

« C’était dangereux, se rappelle-t-il. Les maladies... Si une personne tombait malade, tout le monde suivait. »

Kwizera a été repêché par Montréal au premier tour du SuperDraft de la MLS, en janvier dernier. Une surprise totale.

« J’étais complètement sous le choc, se souvient Nicole Cropper, l’émotion dans la voix au bout du fil. Je ne pensais pas que c’était possible ! »

Nicole, c’est la mère de la famille d’accueil de Jojea à Salt Lake City. Celle que le joueur considère aujourd’hui comme sa vraie mère. Nous y reviendrons.

Au début d’avril, il signait un premier contrat professionnel.

Kwizera n’a pour l’instant que très peu joué pour son club. On ne peut donc prédire quel genre de carrière il aura.

Mais peu importe. Le chemin parcouru, du Congo à Montréal en passant par l’Utah, est un exploit en soi.

« Quand je prends le temps d’y penser, je me rends compte de tout ce que j’ai vécu », explique Kwizera, alors que le soleil d’un après-midi de juin commence à l’éblouir.

Il y a tellement de moments qui auraient pu faire en sorte que je ne sois pas là aujourd’hui. Je profite de tout. Je suis choyé.

Jojea Kwizera, attaquant du CF Montréal

Le soccer, même dans les camps

Jojea Kwizera est né en 1999 à Bukavu, en République démocratique du Congo. Tout juste à la frontière du Rwanda. Il n’a plus vraiment de souvenirs de sa ville natale : il s’est retrouvé dans des camps de réfugiés en Tanzanie dès l’âge de « 4 ou 5 ans ».

Le jeune Jojea, cadet de la famille, et ses trois sœurs ont rapidement perdu contact avec leurs parents biologiques.

« Ma grande sœur, Biza, est devenue notre mère dans le camp. Elle s’est occupée de nous. »

Ils passeront environ trois ou quatre ans dans différents camps de réfugiés en Tanzanie.

Photo tirée du compte Twitter du CF Montréal

Jojea Kwizera

Ces milieux de vie que l’on souhaiterait temporaires ne le sont pas toujours. Forcément, une forme de société s’y construit. Jojea Kwizera a trouvé du réconfort en jouant au soccer avec ses amis. Il aimait aussi observer les ligues pour adultes qui s’étaient créées.

« Le soccer me faisait toujours sourire, raconte l’attaquant. Malgré les circonstances difficiles, on pouvait espérer quelque chose du lendemain. Ça permettait à mes amis et moi de ne pas nous soucier de la nourriture et des autres trucs. On est tombés amoureux de ce jeu. »

« On sera là quoi qu’il arrive »

Kwizera et ses trois sœurs ont finalement la chance d’être accueillis aux États-Unis.

« C’était l’occasion pour nous d’avoir une meilleure vie que ce à quoi on était habitués. »

Ils atterrissent à Salt Lake City, en Utah. Les deux plus vieilles ayant déjà 18 ans, elles peuvent aller vivre par leurs propres moyens. « Mais on continuait de les voir », précise-t-il.

Jojea et sa plus jeune sœur, Mado, ont élu domicile dans une première famille d’accueil.

Il ne se souvient plus trop pourquoi, mais Mado a dû éventuellement quitter ce nouveau nid familial. Jojea a vécu ce départ très difficilement.

« Son cœur était brisé, raconte Nicole Cropper, mère de son deuxième foyer d’accueil. Il voulait vraiment la suivre. Oui, il a été un peu turbulent par la suite. »

Qui plus est, les parents de son premier domicile ne nourrissaient pas son rêve de devenir joueur de soccer professionnel. Une philosophie aux antipodes de celle promue par Nicole Cropper et son mari, Darin, qui l’accueilleront à partir de 2016.

PHOTO FOURNIE PAR NICOLE CROPPER

De gauche à droite, de haut en bas : Styve et George Kamungu, Jojea Kwizera, Elie Kamungu, Nicole et Darin Cropper

On avait peur que son rêve ne s’essouffle. C’est un sport tellement compétitif. On a continué à l’encourager et à lui faire savoir qu’on le soutenait, qu’on serait là quoi qu’il arrive.

Nicole Cropper, mère du deuxième foyer d’accueil de Jojea Kwizera

Le jeune homme en est encore reconnaissant.

« Je les considère comme mes parents maintenant, confirme Kwizera. Je les aime. J’ai eu l’impression qu’ils comprenaient ma passion.

« Ils ont fait germer en moi la conviction que je pouvais faire ce que je voulais, si j’en décidais ainsi. »

Parce qu’à travers son adaptation à sa nouvelle vie, le sport est resté sa principale source de plaisir, mais aussi de communication. Le soccer, pour lui qui ne parlait pas l’anglais, est devenu son « langage ».

« Avec le soccer, je pouvais m’exprimer. »

« C’est l’enfant de mon cœur »

Pour poursuivre son rêve, Jojea Kwizera part s’installer à Price. À deux heures de route de Salt Lake City. Il joue au soccer collégial avec l’Utah State Eastern University pendant deux saisons.

Il devient en 2019 membre des Wolverines de Utah Valley, un peu plus près de sa ville d’adoption. Il y étudie la justice criminelle.

PHOTO FOURNIE PAR NICOLE CROPPER

Nicole Cropper et Jojea Kwizera au moment de son dernier match à domicile avec les Wolverines

C’est de là que Jojea Kwizera sera repêché par le CF Montréal, en 2022. Pour vous imaginer la stupéfaction dans le camp des Cropper, on vous laisse aux bons soins de Nicole.

« Je travaillais quand il m’a appelée par FaceTime, se rappelle-t-elle. Il criait, il sautait partout ! J’essayais de comprendre ce qui se passait. Était-il blessé ? Il n’arrêtait pas de crier ! Il disait : “J’ai été repêché ! Montréal m’a sélectionné !” Oh my gosh ! De tous les endroits, le Canada ? C’est incroyable ! Il n’a pas besoin de quitter le continent ! »

Visiblement, elle avait des sentiments joyeusement partagés.

« Il n’arrêtait pas de me dire qu’il allait devoir quitter le pays. Je lui disais : “Je viens tout juste de t’avoir, tu ne peux pas partir ! Tu es à moi !” »

Elle raconte tout cela d’un ton jovial.

« C’est l’enfant de mon cœur, souligne-t-elle, d’une voix toujours douce. C’était difficile. Tout à coup, mon garçon s’en va. »

Pour le plaisir de jouer

Photo Pablo A. Ortiz, archives La Presse Canadienne

Jojea Kwizera à l’entraînement

Nous l’avons dit. Ce ne sont pas tous les repêchés du SuperDraft qui sont voués à un grand avenir.

Cette saison, il veut « accumuler des minutes de jeu et s’améliorer ».

« Il y a tellement à apprendre, expose Jojea Kwizera. Je veux consulter tout le monde et voir où ça va me mener. »

Pour l’instant, son ambition est bien simple : « continuer de jouer ».

« Je ne crois pas que j’ai atteint mes objectifs. Mais je suis choyé d’être encore ici, de pratiquer ce sport avec lequel je suis tombé amoureux quand j’étais petit.

« Ce sport m’a tellement rendu heureux. Il ne cesse de me rendre heureux. »