Marc Bergevin a eu droit à un traitement royal depuis hier. On ne lui reconnait aucun défaut. Je crois qu'il s'agit d'un bon choix. Mais je reconnais qu'on a souvent tendance à ne voir que le bon côté d'un homme lorsqu'il vient d'être embauché par le Canadien. Et je m'inclus dans le lot. On vient de lui donner le ballon. À lui de le porter.

"La Presse

Sports, mardi 3 juin 2003, p. S5

Une prestance retrouvée

Tremblay, Réjean

C'était à peu près fini. Pierre Boivin et André Savard avaient quitté. Claude Julien, inquiet, était déjà dans l'espèce de salle des pas perdus qu'on trouve entre le vestiaire et la salle de conférence de presse. Bob Gainey était assis et donnait une entrevue au téléphone, sa 97e de la journée.

George Gillett était debout, appuyé contre le mur d'un étroit corridor avec mon confrère François Gagnon du Soleil et l'humble chroniqueur de La Presse. Cette fois, on semblait se dire les vraies affaires. Gillett était prêt à jurer sur la tête de ses enfants que ce n'était pas lui ni Pierre Boivin qui avaient demandé à André Savard de se tasser pour faire de la place à Bob Gainey. "J'étais satisfait de la progression de l'équipe et des jeunes même si nous avons eu une saison difficile. André avait un plan et je respectais ce plan. C'est lui, honnête comme toujours, qui nous a dit que si nous avions un candidat de très haut niveau, en fait si nous avions un Bob Gainey, il accepterait de lui céder son poste pour aider autrement l'organisation", d'insister Oncle George.

Hier, George Gillett avait retrouvé tout son enthousiasme, tout son feu sacré. Il était assis dans la première rangée avec Eric Molson et Dan O'Neill, président du conseil d'administration et président de Molson, les partenaires de Gillett. Le message était clair. Le Canadien leur appartient et il n'est pas question de le vendre. "Le Canadien n'était pas à vendre, il n'est pas à vendre et il ne sera pas à vendre. Je veux que ce soit clair", affirmait M. Gillett après la conférence de presse.

La présence de tout ce qui peut être gros boss chez le Canadien et chez Molson servait de témoignage.

Hier, pour la première fois depuis le départ de Serge Savard, le Canadien s'est redonné une stature. Personnellement, je pensais qu'André Savard était compétent et crédible. Mais Bob Gainey, c'est une autre histoire. Compétent, oui, crédible, oui. Mais surtout, de la stature, de l'envergure. Quand Gainey va parler aux joueurs, ils vont écouter. Quand il va parler aux coachs, ils vont écouter. Quand il va parler aux autres directeurs généraux, ils vont écouter.

Ça faisait tellement longtemps que ce n'était pas arrivé...

Tellement longtemps. Tellement loin tout ça. Bob Gainey, le jeune ailier gauche du Canadien que j'ai connu en mars 1975. Épais cheveux bouclés, sa grammaire française avec lui dans l'avion, calme et réfléchi comme un vétéran aguerri. Déjà un homme mûr dans la jeune vingtaine. Ses coéquipiers et les journalistes l'appelaient Bo.

Vous vous rappelez cette photo, en 1979, quand le Canadien a gagné la Coupe Stanley avec Gainey comme leader. Les joueurs l'avaient porté en triomphe sur leurs épaules. Il avait le visage marqué par les coups.

Je me rappelle de lui, assis dans un avion qui filait dans la nuit vers Montréal. Le Canadien venait d'affronter les Islanders de New York. Bryan Trottier, fort comme un cheval et bâti comme un taureau, l'avait pincé d'aplomb derrière le filet. Gainey était tombé. On ne le savait pas mais cette nuit-là, les médecins du Canadien avaient prescrit de la glace. Luxation sévère de l'épaule. On avait caché sa blessure avec une couverture et Gainey avait joué le match suivant.

Une autre année, il avait fini les séries avec les deux épaules séparées. Sans manquer un match.

Larry Robinson n'a jamais été amer pendant sa grande carrière. Juste une fois s'est-il permis un commentaire un peu mesquin. Quand la direction du Canadien a pris les devants et nommé Bob Gainey capitaine, Robinson, qui aurait fait un bon capitaine aussi, avait déclaré qu'on avait choisi "un capitaine de direction". Pourtant, Serge Savard ne s'était pas trompé en choisissant Bo à la place du Bird.

Plus tard, j'ai eu des nouvelles de "Monsieur Bob" quand il est parti diriger les Écureuils d'Épinal dans le coeur de la France. Le propriétaire du Bar des sportifs que j'appelais à Épinal me disait que tout le monde aimait "Monsieur Bob". Le maire d'Épinal, M. Philippe Séguin, fut même président de l'Assemblée Nationale française et candidat à la présidence. Quand il parlait de "Monsieur Bob", c'était avec le respect que les grands sont capables de vouer à d'autres grands.

Un peu plus tard, c'est au Minnesota que j'ai retrouvé Gainey. Sa femme Cathy se battait contre un horrible cancer du cerveau pendant que Gainey dirigeait les North Stars en finale de la Coupe Stanley contre Mario Lemieux et les Penguins de Pittsburgh.

Toute la famille était ballottée par la peine et la douleur.

Après la mort de sa femme, Gainey s'est retrouvé veuf avec quatre enfants. Et il en a ramé un sacré coup. Une de ses filles, adolescente, a connu des problèmes majeurs et chroniques de consommation de drogue. Heavy stuff. Très heavy. Mais hier, Gainey s'est contenté de répondre que la santé de toute la famille était excellente et que les choses allaient bien à Dallas.

Ça veut dire que les choses sont sous contrôle. Merci mon Dieu.

Vous voulez savoir si le Canadien va gagner la Coupe Stanley la saison prochaine? À court terme, le Canadien ne gagnera pas beaucoup de matchs à cause de la présence de Gainey. Mais si l'équipe s'améliore d'un ou deux pour cent, ça sera déjà beaucoup. Peut-être assez pour participer aux séries. Ce n'est pas là l'important de cette acquisition.

Un grand monsieur du hockey, qui a été joueur, capitaine, coach, directeur général d'une très bonne équipe au Minnesota et à Dallas, était disponible pour le Canadien. Enfin, on retrouvait de l'expérience aux postes clés de l'organisation. Qu'André Savard ait proposé ou accepter de se tasser, c'est un geste qui l'honore. Juste pour ça, Savard mérite un énorme respect des propriétaires du Canadien. Et lui qui a mis en branle la renaissance des Nordiques et la naissance des Sénateurs sans être là pour voir marcher le bébé, mérite de rester longtemps dans l'organisation.

Fait plaisir de te revoir, Bo!"