La «plus grande crainte» du propriétaire du Canadien de Montréal, Geoff Molson, dans le dossier des commotions cérébrales? Se faire poursuivre devant les tribunaux, a-t-il écrit au commissaire de la Ligue nationale de hockey (LNH), Gary Bettman, en août 2011.

«Je suis content de savoir que nous ne sommes vraisemblablement pas à risque... c'est [c'était] ma plus grande crainte», a écrit Geoff Molson par courriel en août 2011 au commissaire de la LNH. Les courriels échangés entre M. Bettman et M. Molson au sujet des commotions cérébrales ont été rendus publics dans le cadre d'un recours collectif intenté par plus d'une centaine d'ex-joueurs contre la LNH aux États-Unis.

Dans cet échange de courriels, M. Molson réitère à M. Bettman sa position, soit que tous les coups à la tête devraient être illégaux dans la LNH.

Rappelons qu'en mars 2011 - soit quelques mois avant cet échange de courriels avec le commissaire Bettman -, Geoff Molson avait indiqué publiquement: «La sécurité des joueurs doit être notre ultime priorité et cette situation doit être abordée sans plus de délai.» M. Molson avait tenu ces propos dans une lettre aux partisans du Tricolore à la suite de la blessure subie par Max Pacioretty après une mise en échec de Zdeno Chara. Le propriétaire du Canadien avait alors critiqué les autorités de la Ligue pour ne pas avoir sévi à l'endroit de Chara.

L'échange de courriels entre MM. Molson et Bettman ne porte pas sur la sécurité des joueurs mais plutôt sur la responsabilité légale de la LNH par rapport aux commotions cérébrales subies par ses joueurs.

Le 2 août 2011, le copropriétaire et président du Canadien de Montréal envoie un courriel au commissaire de la LNH avec, en pièce jointe, un article d'un professeur de droit en Colombie-Britannique (Jon Heshka, de Thompson Rivers University, à Kamloops) publié dans le Globe and Mail. Le professeur fait notamment valoir que la poursuite engagée par d'anciens joueurs de football contre la NFL au sujet des commotions cérébrales devrait inciter la LNH à éliminer les coups à la tête du hockey et à adopter des règlements encore plus sévères en la matière.

«Je suis d'accord avec ce qu'il dit, tel que mentionné à la réunion du bureau des gouverneurs. Comme propriétaire, les poursuites contre la NFL pourraient nous mettre à risque. Même si nous faisons de bons progrès, je ne crois pas que c'est assez avant que tout coup à la tête ne soit déclaré illégal. J'espère que nous y arriverons bientôt!», écrit Geoff Molson à Gary Bettman.

Le commissaire lui répond le lendemain, le remerciant de lui avoir envoyé l'article du Globe and Mail. «Comme tu le sais, je comprends et respecte ta position. Toutefois, pour plusieurs raisons, je ne crois pas que nous soyons dans la même situation que le football et je ne crois pas que les poursuites de la NFL "nous mettent à risque". Entre autres choses, nous avons été des leaders dans le domaine des commotions cérébrales et nous avons établi des standards en matière de diagnostics, de traitements et de changements de règlements», écrit M. Bettman, qui termine son courriel en indiquant qu'il aimerait poursuivre la discussion avec M. Molson.

Deux heures plus tard, Geoff Molson répond à Gary Bettman: «C'est bon à entendre que nous ne sommes vraisemblablement pas à risque... c'est [c'était] ma plus grande crainte.» «Content de l'entendre. Merci», lui répond finalement Gary Bettman.

En 2013, d'anciens joueurs de la LNH ont intenté un recours collectif contre la Ligue au sujet des commotions cérébrales. Ils ont demandé à obtenir des centaines de documents de la LNH relatifs au dossier des commotions cérébrales dans le cadre de ce litige civil, dont cet échange de courriels entre MM. Molson et Bettman.

La LNH a notamment demandé que les échanges de courriels entre MM. Molson et Bettman restent confidentiels, mais les avocats des plaignants (les ex-joueurs de la LNH) s'y sont opposés. La LNH a fait valoir que le fait de rendre publics ces courriels pourrait «porter atteinte à la capacité de la LNH de maintenir et de bâtir des relations avec des partenaires commerciaux et pourrait menacer son statut avec ses partisans», selon des extraits tirés d'une décision judiciaire.

La juge Janie Mayeron, du district du Minnesota (où la cause est entendue), s'est rangée en décembre du côté des plaignants, estimant que le préjudice subi par la LNH si les courriels entre M. Molson et M. Bettman sont rendus publics est «vague et péremptoire.» Cette décision a été confirmée, il y a quelques jours, par la juge Susan Richard Nelson, aussi du district du Minnesota. Les documents ont ainsi été rendus publics.

Lettre aux partisans

Dans une lettre aux partisans en mars 2011 à la suite de la blessure subie par Max Pacioretty après une mise en échec de Zdeno Chara, Geoff Molson avait indiqué que «la sécurité des joueurs de la LNH est sérieusement compromise», que «cette situation a atteint un niveau alarmant».

Il indiquait vouloir «enrayer cette situation» mais se proposait pour «assumer un rôle de leadership» dans ce dossier.

«Notre organisation croit que la sécurité des joueurs de la Ligue nationale est sérieusement compromise et que cette situation a atteint un niveau alarmant. Le danger est de plus en plus grand pour ces joueurs qui comptent parmi les meilleurs athlètes professionnels au monde, sans oublier les conséquences que cela comporte pour le hockey dans son ensemble. La sécurité des joueurs doit être notre ultime priorité et cette situation doit être abordée sans plus de délai.»

«Nous comprenons et admettons d'emblée que le hockey demeure un sport physique, toutefois nous ne pouvons accepter un comportement qui met en danger la santé et la sécurité des joueurs. À cet égard, je demande l'appui des 29 autres propriétaires d'équipe de la LNH afin que l'on puisse, sans plus tarder, enrayer cette situation. Je suis prêt à assumer un rôle de leadership parmi ce groupe», avait écrit M. Molson aux partisans du Tricolore.

Litige en cours

Geoff Molson et le Canadien de Montréal n'ont pas commenté, hier, l'échange de courriels entre M. Molson et M. Bettman en août 2011, expliquant que le litige est toujours devant les tribunaux.

Plus d'une centaine d'ex-joueurs de la LNH font partie du recours collectif, qui est présentement devant le tribunal du district du Minnesota. Parmi eux: Bernie Nichols, Gary Leeman, Kevin Stevens, Dan LaCouture, Michael Peluso, les anciens joueurs du Canadien Brian Savage, Sergio Momesso, Turner Stevenson, Darren Langdon et Mike Lalor, ainsi que les Québécois Jean-François Jomphe et Sasha Pokulok. Les ex-joueurs n'ont pas encore chiffré le montant des dommages qu'ils réclament à la LNH.

Après avoir été poursuivi par plus de 5000 ex-joueurs de football, la NFL a conclu une entente à l'amiable avec eux en 2013. Au départ, l'entente prévoyait un plafond pour les dommages à 675 millions US. Le plafond a été enlevé à la demande du juge devant entériner l'entente. Mais plusieurs observateurs qui critiquent cette entente font valoir que la NFL ne paiera probablement pas la totalité de la somme en raison de ses modalités, selon le New York Times.