C'est une page du folklore de la LNH qui s'est tournée, au cours de l'hiver, avec l'arrivée de la nouvelle convention collective. Les équipes ont en effet accepté que les joueurs cessent de partager leur chambre d'hôtel à l'étranger. Seuls les joueurs écoulant leur premier contrat professionnel sont toujours assujettis au partage de chambre.

Le directeur général du Canadien, Marc Bergevin, qui mousse depuis son arrivée en poste le concept d'équipe, ne croit pas que cette nouvelle politique aura un impact sur la collégialité. «Il ne faut pas oublier qu'à l'origine, l'idée de faire cochambrer les joueurs visait à réduire les dépenses, rappelle Bergevin. Ça n'avait rien à voir avec les liens entre les joueurs.

«Puis, les vétérans se sont mis à avoir leur propre chambre. Désormais, il n'y a que les recrues qui n'ont plus la leur. Le jour viendra où eux-mêmes n'auront plus à la partager.»

Par le passé, les joueurs qui atteignaient 600 matchs d'expérience dans la LNH avaient automatiquement droit à leur propre chambre. «La nouvelle règle ne changera pas grand-chose pour moi parce que j'arrive au plateau des 600 matchs. C'est agréable d'avoir son espace à soi, a noté Travis Moen, qui a franchi tout récemment le cap des 600 matchs. Si jamais notre femme appelle, on a un peu plus de vie privée.»

Même des joueurs plus jeunes comme Lars Eller, qui est marié et qui est nouveau papa, valorisent les quelques heures de quiétude. «Sur la route, nous pratiquons ensemble, nous allons manger ensemble et nous sommes en groupe pendant toute la journée jusqu'à 21 h, rappelle le Danois. On passe plus de temps avec l'équipe qu'on ne le ferait à domicile.

«Si je ne m'abuse, les entraîneurs et même les responsables de l'équipement ont droit à leur chambre. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement avec les joueurs.»

Entre quiétude et ennui

Le fait d'avoir chacun sa chambre est considéré comme un gain par l'Association des joueurs. Or, Josh Gorges constate que la nouvelle façon de faire a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. «Nous pouvions avoir un cochambreur qui aimait veiller tard ou encore qui n'avait pas l'habitude de faire de sieste en après-midi, explique le défenseur. Ce genre de chose n'entrera plus en conflit avec la routine de chacun.

«Mais en même temps, ça peut finir par devenir ennuyant, à un moment donné! Je ne sais pas si c'est parce que je suis quelqu'un de sociable, mais je me sens parfois seul. Au retour du souper, il peut se passer trois ou quatre heures avant qu'on se mette au lit. Ça peut être agréable d'avoir quelqu'un à qui parler.»

Aux yeux de David Desharnais, cela ne changera pas grand-chose, si ce n'est que le sommeil des joueurs pourrait être de meilleure qualité. «Mais j'aimais ça avoir un cochambreur, admet-il. J'ai toujours eu des gars avec qui je m'entendais bien. L'équipe s'arrangeait toujours pour jumeler des gars qui avaient des affinités. Les Russes ensemble, les plus jeunes ensemble, etc.»

Le Canadien procède ainsi depuis longtemps. À l'époque où ils portaient tous deux l'uniforme du CH, Guillaume Latendresse et Steve Bégin partageaient la même chambre. Il fallait quelqu'un qui connaissait Latendresse pour bien réagir devant ses épisodes de somnambulisme!

Bergevin se payait la tête d'Al MacInnis

Les histoires tirées du passé sont nombreuses à propos de la dynamique entre un joueur-vedette et son cochambreur, souvent à l'écoute des besoins de la star. Le choix du lit, le contrôle de la télécommande, la bouffe dans la chambre; il fut une époque où les joueurs ayant un statut préférentiel en profitaient aux dépens d'un coéquipier.

Afin d'équilibrer la chose, Marc Bergevin se permettait un petit stratagème à l'endroit de l'as défenseur Al MacInnis. «Dans l'ascenseur, j'appuyais subtilement sur le bouton d'un autre étage que le nôtre», raconte le DG, qui était un farceur invétéré lorsqu'il jouait. «Quand la porte s'ouvrait, j'invitais Al par politesse à sortir avant moi. Puis, je refermais la porte avant qu'il n'ait le temps de se rendre compte que je ne l'avais pas suivi.»

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Parmi les joueurs réguliers chez le Canadien, il ne reste donc que les recrues Brendan Gallagher et Alex Galchenyuk qui sont contraints de partager leur chambre. Déjà que de profiter du niveau de vie de la LNH est une agréable nouveauté pour eux, ils ne sont pas pressés d'avoir leur propre chambre. On l'a constaté dans l'émission 24CH : les deux jeunes attaquants sont tout à fait à l'aise de cohabiter. «Sur la route, il y a plusieurs choses entourant l'équipe auxquelles il faut rester attentif, donc c'est bon d'être deux pour ne rien manquer, souligne Gallagher. Et puis, nous aimons parler de hockey et nous nous entendons bien.»

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Ne plus avoir de cochambreur a dû faire l'affaire de Yannick Weber et de Michael Blunden, qui ont déjà eu le malheur d'être jumelé à P.K. Subban sur la route. «Je ronflais et j'empêchais Webby de dormir, se souvient Subban. Un soir, il s'est mis à me lancer ces petits pains de savon qu'on trouve dans les hôtels. Ça me frappait le visage et je ne m'en rendais même pas compte. Le lendemain matin, quand je me suis réveillé, tous les oreillers de la chambre étaient de mon côté, il y avait aussi les savons et un paquet d'autres trucs. Je me suis retourné vers lui et Yannick n'avait plus qu'un oreiller et un drap! Je suis content parce que je ne placerai plus mes coéquipiers dans une position où ils ne peuvent pas dormir.»

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Colby Armstrong a déjà été le cochambreur de Sidney Crosby avec les Penguins de Pittsburgh, avant qu'il ne soit échangé aux Thrashers d'Atlanta et qu'un des joueurs obtenus par les Penguins en retour, le Québécois Pascal Dupuis, ne soit jumelé à l'attaquant-vedette. Armstrong se souvient très bien d'un soir à Buffalo où il aurait pu mettre les Penguins dans l'embarras. «Pour une quelconque raison, on s'était mis à lutter dans notre chambre, Sid et moi, raconte le sympathique ailier. Il m'a balancé par-derrière, mais mon genou l'a atteint involontairement dans les parties. De la façon dont il se tordait de douleur, j'avais peur qu'il rate le match contre les Sabres. J'étais nerveux à l'idée de devoir me justifier auprès des entraîneurs!»

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Avant de quitter le Canadien, Erik Cole avait pris l'habitude d'aller rendre visite à un coéquipier afin de tromper l'ennui. Mais il n'allait pas jusqu'à imiter Joe Thornton dont le comportement, des années plus tard, reste un mystère aux yeux de Gorges. «J'étais le cochambreur de Scott Hannan avec les Sharks de San Jose et, dans chaque ville où nous allions, Thornton venait dans notre chambre la minute qu'il avait déposé sa valise dans la sienne, a raconté Gorges. Il appelait le service aux chambres pour un souper et un dessert, puis il s'en allait et c'est nous qui nous retrouvions avec la facture. Il faut dire qu'en toute autre circonstance, Joe payait constamment. C'était l'un des plus chics types sur ce plan-là. Mais sur la route, c'était systématique...»