C'était un soir de mai à Buffalo. Mes premières séries de la Coupe Stanley. Faisait une chaleur d'enfer dans le vieil Auditorium pour la finale. Flyers de Philadelphie contre les Sabres. Tous les journalistes avaient tombé la veste. Et Gene Hart, le commentateur de la radio et de la télé de Philadelphie avait l'élégance d'un phoque échoué sur une pierre. Il transpirait à grosses gouttes et s'épongeait le front avec un mouchoir dix fois tordu pour l'égoutter.

À ses côtés, René Lecavalier portait son petit blazer marial de la Soirée du hockey, souriant, cravate bien nouée, frais comme une rose, très à la fraîche dans la fournaise.

Gene m'avait dit en articulant avec soin pour que je comprenne bien: «On crève, on sue, on se meurt et regarde René. Ça doit être ça la grande classe!».

C'était la grande classe. Une classe qui s'est transmise sans doute jusqu'à Benoît Brunet.

Ce soir-là, faisait tellement chaud qu'une brume épaisse enveloppait les joueurs. Ils devaient arrêter et patiner en rond pour aérer un peu la place. Aux arrêts de jeu, des employés des Sabres patinaient avec de grands draps, donnant au match des allures fantomatiques.

C'était ma première finale, je pensais que j'avais tout vu...

La dernière grande dynastie du Canadien a gagné une première Coupe Stanley en 1976 contre les Flyers de Philadelphie.

Évidemment que j'étais là dans le vestiaire pour recueillir les paroles d'Évangile de Lafleur, Lemaire, Savard, Robinson, Gainey et Bowman.

Deux jours plus tard, le matin ou presque, j'avais retrouvé Doug Risebrough tout fin seul dans le vestiaire du Canadien. Il était debout et contemplait les plaques des grands de l'histoire des Glorieux. Déjà pompette ou encore enivré par le party de la nuit, Risebrough tenait une bière dans la main.

Les yeux fixés sur ces légendes, il avait lâché d'une voix forte: «Vous pouvez aller vous reposer, nous autres aussi on a l'a gagnée, la Coupe».

J'avais trente ans et j'étais certain que cette fois, j'avais tout vu.

Puis le Canadien a gagné d'autres Coupes. Pat Burns m'a fait expulser d'un avion de l'équipe lors d'une finale, Jean Perron m'a boudé pendant une conquête mais c'est sans importance puisque les hommes passent et les exploits restent.

Mais quand j'accrocherai mon stylo pour de bon, il y a un soir que je n'oublierai jamais. Un lundi, sixième match du Canadien contre les Capitals de Washington, l'an dernier. Les 59 arrêts de Jaroslav Halak contre des Caps déchaînés et la victoire de 2-1 du Canadien.

J'ai vu Jacques Plante, j'ai vu Gump Worsley, j'ai vu Ken Dryden, j'ai vu Patrick Roy...

Mais je n'ai jamais vu une performance comme celle d'Halak ce soir-là.