Si quelqu'un s'avisait de créer de toutes pièces le porte-drapeau idéal, il arriverait probablement à un résultat ressemblant étrangement à l'athlète qui marchera en tête de la délégation canadienne lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin, aujourd'hui.

Un porte-drapeau devrait être une source d'inspiration et de fierté pour les athlètes qui le suivent, mais aussi pour tous ses compatriotes restés au pays. En plein le genre de sentiments que suscite Adam van Koeverden.

Oubliez ses supposées lacunes en français, pas mal moins grandes en passant que la récente minicontroverse sur le sujet pouvait laisser croire. Au sein de l'équipe de 332 sportifs représentant le Canada à Pékin, le kayakiste de 26 ans, médaillé d'or (K-1 500 m) et de bronze (1000 m) aux Jeux d'Athènes, est non seulement l'un des athlètes les plus accomplis et les plus titrés. Il est aussi, fort probablement, le plus déterminé et le plus universellement admiré.

Il suffit d'entendre ce que disent ses coéquipiers à son sujet. «Quand il vient avec nous à l'entraînement, l'intensité monte d'un cran. On essaie d'être encore meilleurs», dit le Trifluvien Gabriel Beauchesne-Sévigny, qui partage sa chambre depuis deux ans lors des camps d'entraînement hivernaux de l'équipe nationale de canoë-kayak, en Floride. «Ce que je vois chez lui, c'est qu'il n'y a jamais de limite. Il veut toujours aller plus vite. Il ne se contente de rien.»

Les anecdotes révélatrices pleuvent à son sujet. Comment, avant les Jeux de 2004, il s'est rendu au Brésil pour aider à qualifier le K-4 canadien, alors qu'il n'avait pourtant aucune intention de participer à cette épreuve à Athènes. Comment, immédiatement après avoir porté le drapeau unifolié lors de la cérémonie de clôture de ces mêmes Jeux, il s'est rendu au championnat canadien, en Nouvelle-Écosse, pour rencontrer la relève de son sport, plutôt que de rester faire la fête en Europe. Comment, au fond, il est resté un gars d'équipe et n'a jamais laissé ses succès lui monter à la tête.

«Comme individu, il est encore plus à sa place depuis qu'il est devenu champion olympique», dit Maxime Boilard, quatrième en K-1 500 m aux Jeux de Sydney, en 2000, et analyste des épreuves de canoë-kayak à Radio-Canada. «Il ne s'est pas perdu. Quand il a gagné, il a réalisé qu'il avait soudainement de l'influence et du pouvoir et il s'est demandé comment il pouvait l'utiliser au mieux.»

Il est ainsi devenu l'un des athlètes canadiens les plus engagés sur le plan social. Hier, dans la chaleur et l'humidité étouffantes qui règnent au bord du bassin de Shunyi, où il se lancera dans une dizaine de jours à la conquête de deux médailles d'or, van Koeverden a parlé longuement de son travail avec la fondation de David Suzuki et la fondation Right to Play, qui utilise le sport pour venir en aide aux enfants du tiers-monde.

En novembre dernier, il s'est rendu au Liberia avec d'autres athlètes ambassadeurs de Right to Play (à laquelle, dit-il, il n'hésitera pas à verser une partie du boni en argent que verse le Comité olympique canadien aux médaillés du pays).

«C'était une occasion de se salir les mains, de jouer avec les enfants, de les prendre dans nos bras, d'apprendre les jeux qu'on leur enseigne», a dit van Koeverden, qui n'a pas caché avoir trouvé difficile de constater la pauvreté qui afflige ce petit pays africain. «C'était dur. Mais je ne me défile pas de telles occasions sous prétexte qu'elles pourraient être difficiles. En fait, je gravite vers elles parce que je crois qu'elles font de moi une meilleure personne.»

«Le sport est égoïste. Être un athlète est une tâche égoïste. Je suis toujours préoccupé par ma santé, ma forme, mon entraînement, mon bateau, ma pagaie, ma course. C'est pour ça que je m'engage dans des organisations comme Right to Play et David Suzuki, dit-il. Pour redonner ce que je retire du sport.»

Ce qui compte dans un porte-drapeau, ce n'est pas le drapeau. C'est celui qui le porte.