C'est une maladie tragique. Les neurones et leurs terminaisons nerveuses, appelées synapses, disparaissent peu à peu, provoquant la démence. C'est en tout cas comme ça qu'on explique la maladie d'Alzheimer. Mais une nouvelle étude vient ébranler ce dogme en montrant qu'il n'existe aucun lien entre la perte des synapses et le niveau de démence. La découverte a surpris jusqu'aux chercheurs qui l'ont faite, et pourrait bouleverser notre façon de voir la maladie.

DE DÉCEPTION À DÉCOUVERTE

Salah El Mestikawy, chercheur à l'Institut Douglas et professeur au département de psychiatrie de l'Université McGill, l'admet d'emblée : il a d'abord été dépité en voyant les résultats de son étude. En étudiant le cerveau de 170 personnes mortes qui souffraient de la maladie d'Alzheimer à divers stades, il espérait trouver un marqueur de la maladie. Un type de synapse qui décline dans le cerveau au fur et à mesure que la maladie progresse et qui pourrait servir de baromètre pour suivre l'évolution de la maladie. Mais après avoir étudié une bonne demi-douzaine de protéines marquant ces synapses, il n'a trouvé aucune corrélation entre la baisse des synapses, donc des connexions entre les neurones, et le niveau de démence. « On était tellement déçus qu'on a mis longtemps à comprendre l'intérêt des travaux. C'est seulement plus tard qu'on a réalisé qu'il s'agit sans doute d'une découverte importante », a-t-il dit. L'étude, fruit d'une collaboration entre des chercheurs canadiens, français et américains, est publiée aujourd'hui dans Scientific Reports.

UN DOGME ÉBRANLÉ

La découverte du professeur El Mestikawy suggère que ce n'est pas la disparition progressive des connexions entre les neurones qui explique la maladie d'Alzheimer. La thèse ébranle un consensus si fort qu'elle a suscité des réactions « agressives » dans le milieu scientifique, selon le chercheur. Ce qui le conforte dans la validité des résultats, c'est le grand nombre de cerveaux étudiés. « Si vous regardez les études qui ont été faites précédemment, dont les miennes, elles portaient sur 10, 20 ou 30 échantillons. Ici, on en a 170 », dit-il. Le professeur soupçonne maintenant que ce serait le dysfonctionnement des synapses, plutôt que leur disparition, qui causerait l'alzheimer. Cela pourrait remettre en question toute la stratégie utilisée actuellement avec les malades, qui consiste à stimuler leur cerveau afin de renforcer les connexions et tenter de ralentir la maladie. « Je ne suis pas sûr qu'on ait trouvé quoi que ce soit qui soit vraiment efficace dans le cas de la maladie d'Alzheimer, dit le professeur El Mestikawy. S'il y a une chose que l'on sait aujourd'hui, c'est que pour soigner une maladie, il faut la comprendre. »

D'AUTRES TRAVAUX NÉCESSAIRES

Avant de jeter à la poubelle l'ensemble des connaissances actuelles sur l'alzheimer, il faudra évidemment d'autres travaux. Et Salah El Mestikawy compte bien y participer. Pour l'instant, il a étudié les synapses dans le cortex préfrontal, le siège du raisonnement du cerveau. « Il faudrait refaire les mêmes mesures dans trois ou quatre autres régions stratégiques du cerveau - l'hippocampe, par exemple, qui est responsable de la mémoire à court terme et de la mémoire spatiale, des fonctions qui sont affectées par la maladie », dit le professeur El Mestikawy. Le scientifique espère que des avancées liées à la technique de tomographie par émission de positrons permettront bientôt de mesurer les synapses directement dans le cerveau des patients vivants. « L'avantage est qu'on pourrait mesurer tout le cerveau d'un coup, et suivre la même personne pendant des années pour voir les changements, note Salah El Mestikawy. Quand cette méthode de choix sera au point, et c'est pour bientôt, les gens pourront faire les mesures et voir si on a raison ou tort. Et je crois qu'ils verront qu'on a raison ! »