Mois de jeûne et de spiritualité, le ramadan est aussi un mois de célébration pour 1,5 milliard de musulmans dans le monde. Après le coucher du soleil, les privations du jour font place à la fête. La table, oubliée pendant les heures d'ensoleillement, déborde de spécialités préparées pour l'occasion. On les déguste en famille, entre amis, entre voisins. La bonne nouvelle : même les non-musulmans peuvent prendre part aux célébrations.

On ne peut pas s'empêcher d'avoir faim pour elle. Il est 20h. Le soleil s'est couché. Risalé Alper, qui jeûne depuis 4h30 le matin - pas de nourriture, pas d'eau - devrait en principe se ruer sur les mets fumants qu'elle vient de disposer sur la table. Au lieu de ça, elle remplit patiemment les assiettes de ses invités.

 

Elle regarde à peine le plat de dattes qui lui, pourtant, lui fait de l'oeil. Dans la famille Alper, originaire de Turquie, on brise le jeûne du ramadan en avalant une de ces perles du désert. «C'est la seule partie un peu religieuse de la soirée. Le prophète brisait lui aussi le jeûne avec une datte, de l'eau ou du sel», explique, au bout de la table, un des invités des Alper, Fehmi Kala.

Habituellement, chez les Alper, comme dans beaucoup de familles musulmanes de Montréal, la rupture du jeûne se fait en famille - le couple a deux fils, deux brus et deux petites-filles qui partagent la même adresse -, mais ce soir, la famille s'est élargie.

À l'invitation de la Fondation du dialogue, une organisation liée à l'intellectuel musulman turc Fethullah Gülen, les Alper ont décidé d'agrandir la famille, le temps d'une soirée. Deux candidats aux élections municipales de Montréal-Nord, une étudiante, la représentante de La Presse et deux voisins ont été conviés. Des soirées du genre auront lieu pendant tout le mois du ramadan.

Manger, partager

Au menu de la rencontre: la possibilité d'échanger sur le ramadan, mais surtout, des spécialités culinaires de l'est de la Turquie, préparées dans la coquette cuisine des Alper, dans une rue résidentielle de Montréal-Nord.

Sur la table, des aubergines dans le yogourt, des poivrons farcis, des kebabs arrosés d'une sauce aux tomates, du riz aux pois chiches, des pains fourrés à la viande épicée et la grande spécialité de la maîtresse de maison: des cigarettes bourek. Ces rouleaux feuilletés ont été baptisés ainsi à cause de leur forme, mais ils sont loin de goûter le tabac: ils sont remplis de fromage et de coriandre. «Pour nous, c'est beaucoup ça, le ramadan, manger avec des proches, préparer des plats traditionnels, partager», dit timidement Risalé.

Les invités posent quelques questions. Mais ils mangent, surtout. «C'est tellement bon, ces rouleaux au fromage! Risalé m'a appris à les faire, mais ça demande tout un équipement particulier», s'exclame Sylvia Cancilla, la voisine.

Les deux familles se connaissent depuis sept ans. Les deux pères, Ismail et Franco, se disent bonjour tous les matins quand ils partent au travail à 5h30. «Avant leur arrivée, la rue était habitée surtout par des familles francophones ou italiennes. Quand les Alper sont arrivés, on s'est dit oh! oh! des Turcs! On était un peu perplexes, mais maintenant, Ismail est l'homme le plus connu de la rue», raconte en souriant Mme Cancilla.

Malgré les relations de bon voisinage, c'est la première fois qu'ils sont conviés pour le ramadan. Ils sont venus même s'ils avaient déjà mangé à 18h30. «On ne pouvait pas refuser cette invitation-là.»

Pendant toute la durée du souper, Ismail Alper explique qu'il n'a aucune difficulté à faire le ramadan, même à Montréal. Il travaille depuis 23 ans dans une usine de Lachine et tout le monde s'est habitué à le voir jeûner un mois par an. «Parfois ils me taquinent un peu», dit-il en riant doucement.

En fait, note-t-il, à mesure que les années passent, le ramadan est de plus en plus plaisant, de plus en plus facile. Les Alper n'ont aucune difficulté à se procurer les produits turcs qui leur permettent de préparer les festins de soirée ou à dégoter des pâtisseries aussi bonnes que celles du pays. On compte à Montréal près de 150 000 musulmans, et leur nombre s'accroît chaque année. Les commerces spécialisés et les boucheries halal sont devenus légion.

Pendant le ramadan, ils font des affaires d'or. «Mon personnel double pendant le ramadan», sourit à ce sujet Toufik Merazi, le propriétaire de la pâtisserie La Table fleurie. «Le ramadan, c'est notre Noël à nous.»

 

Perreault, Laura-JulieRamadan, mode d'emploi

Le ramadan est le neuvième mois du calendrier lunaire musulman. Pendant ce mois, qui se déplace de 10 jours chaque année dans le calendrier occidental, basé sur la rotation de la Terre autour du Soleil, les musulmans doivent jeûner du lever du soleil au coucher. L'heure exacte du jeûne varie de jour en jour, mais cette année, on peut dire que le jeûne s'étend grosso modo de 4h30 du matin à 19h45, heure approximative de la rupture du jeûne. Pendant cette période, ceux qui font le jeûne du ramadan ne doivent ni manger, ni boire, ni fumer. Ils doivent aussi prier cinq fois par jour, une règle qui s'applique toute l'année, mais qui est souvent respectée plus scrupuleusement pendant le ramadan. Un des objectifs du jeûne est de permettre aux nantis de comprendre la détresse des pauvres. C'est d'ailleurs durant ce mois qu'ils doivent verser la zakat, l'aumône.