Au sommet sur la pédophilie des prêtres convoqué par le pape François en 2019, les normes de l’Église catholique américaine pour sanctionner les prêtres et protéger les mineurs ont été présentées comme les meilleures. Les évêques américains prônent la tolérance zéro depuis la déflagration causée par l’enquête « Spotlight » du quotidien Boston Globe sur la pédocriminalité en 2002.

Mais même aux États-Unis, les victimes et les avocats canoniques dénoncent ce système comme un échec. De plus, une nouvelle vague de dénonciations arrive de la part d’adultes. Certains croient que la hiérarchie vit une sorte d’épuisement face à la Charte pour la protection des enfants et des jeunes de 2002, née du scandale des prêtres pédophiles, et qu’elle veut simplement passer à autre chose.

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Thomas Doyle en 2018. Dès 1985, ce prêtre dominicain a sonné l’alarme au sujet de l’impunité des prêtres pédophiles. Après des années à défendre les victimes et à travailler à l’intérieur du système, il ne conseille plus de s’adresser à la justice de l’Église.

L’avocat canonique américain Thomas Doyle, qui a travaillé pour la nonciature du Vatican à Washington, représente aujourd’hui des victimes. Il ne leur conseille plus de s’adresser à la justice ecclésiastique.

Pourquoi ? Parce que « l’Église va les berner de toutes les façons imaginables », dit-il.

« C’est une perte de temps », dit M. Doyle aux victimes. « La seule justice, ou semblant de justice, qui a été rendue aux victimes l’a été par des tribunaux civils, parce que là, l’Église ne peut pas les entourlouper. »

Presque toutes les enquêtes récentes sur les prêtres pédophiles montrent que le système juridique interne de l’Église est en grande partie responsable du problème. C’est patent à la lecture de rapports commandés par l’Église en France et en Allemagne ou faits à la suite d’enquêtes gouvernementales en Australie et en Espagne ou d’enquêtes policières aux États-Unis.

Il y a eu des réformes, notamment quand le pape François a levé le secret sur les prêtres pédophiles en 2019. Mais des problèmes fondamentaux subsistent.

Une partie du problème vient de ce que le droit canonique n’a pas été conçu pour répondre aux besoins des victimes et les aider à guérir : le but du système est entièrement centré sur l’institution : « restaurer la justice, réformer le délinquant et répondre au scandale ».

Nouvelles politiques, nouveaux problèmes

Même après la révision du Code pénal du Vatican – qui a pris plus de 10 ans –, presque tous les rapports externes ont décrit de nombreux problèmes.

Il y a un conflit d’intérêts intrinsèque dans le système. Selon les procédures de l’Église, un évêque enquête sur une allégation de viol d’un enfant par l’un de ses prêtres, puis rend jugement. Or, le supérieur a un intérêt direct, puisque le prêtre est considéré comme un fils spirituel dans lequel l’évêque a investi temps, argent et amour.

Difficile d’imaginer un autre système judiciaire ailleurs dans le monde où une personne ayant une relation aussi personnelle et paternelle avec l’une des parties pourrait rendre un jugement objectif et équitable.

Selon la commission d’enquête sur la pédocriminalité dans l’Église de France, un tel conflit d’intérêts structurel « apparaît, humainement, intenable ».

Même le Synode des évêques arrive à la même conclusion. Dans leur rapport publié en novembre à l’issue d’une réunion d’un mois, les évêques ont identifié le conflit d’intérêts comme un problème permanent. « La question délicate du traitement des abus place les évêques devant la difficile conciliation entre le rôle de père et celui de juge », écrivent-ils en suggérant que l’administration de la justice soit confiée à « d’autres structures ».

Absence de droits fondamentaux pour les victimes

Lors d’enquêtes canoniques sur les abus, les victimes sont seulement des témoins. Elles ne participent pas aux procédures à huis clos, n’ont pas accès aux dossiers et n’ont même pas le droit de savoir si une enquête canonique a été ouverte, et encore moins de connaître où elle en est.

C’est seulement depuis 2019, après une réforme du pape François, que les victimes peuvent connaître l’issue de leur plainte, mais rien d’autre.

L’ombudsman d’Espagne, chargé par le Parlement d’enquêter sur les abus dans l’Église catholique espagnole, a déclaré que les victimes étaient souvent traumatisées par ce processus : « Si on les compare aux normes internationales et nationales sur les droits minimaux des victimes dans les procédures pénales, les droits et les besoins des victimes dans les procédures canoniques continuent d’être négligés. »

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L’ombudsman d’Espagne, Ángel Gabilondo, remet à la présidente du Congrès Francina Armengol son rapport sur les mineurs ayant subi des sévices sexuels au sein de l’Église catholique, le 27 octobre 2023.

Les Français sont allés plus loin en affirmant que le Vatican ne respecte pas ses obligations en matière de droits des victimes en tant qu’État observateur aux Nations unies et membre du Conseil de l’Europe.

Citant la Convention européenne des droits de l’homme, le rapport français note qu’un droit fondamental comprend l’accès à un procès équitable « qui garantit notamment le droit d’accès à une justice indépendante et à une procédure contradictoire, et, pour la victime, le droit à un recours effectif ».

« Le droit canonique ne pourra apporter une véritable réponse aux sévices sexuels commis sur des enfants et des personnes vulnérables dans l’Église catholique que s’il répond aux exigences de justice universellement reconnues et s’il est mis en œuvre de manière plus efficace », conclut la commission française.