À l’orée de 2024, les victoires de l’armée ukrainienne en mer Noire ne doivent pas être sous-estimées, affirment deux experts. Encore cette semaine, les Ukrainiens ont endommagé un grand navire de débarquement en Crimée, en plus d’avoir recommencé à exporter des céréales par voie maritime dès l’automne.

Ce qu’il faut savoir

Mardi, l’armée ukrainienne a endommagé le grand navire de débarquement russe Novotcherkassk.

Une experte estime que les succès de Kyiv en mer Noire ne sont « pas appréciés à leur juste valeur en Occident ».

Sur le sol, l’Ukraine peine à faire des gains dans la contre-offensive qu’elle a entamée il y a plusieurs mois déjà.

Les yeux devraient être rivés vers le Congrès américain, qui devra déterminer s’il maintient ou non son aide à l’Ukraine.

« Les succès des Ukrainiens en mer Noire ne sont pas appréciés à leur juste valeur en Occident », estime Maria Popova, professeure associée à la chaire Jean-Monnet de l’Université McGill, en entrevue.

Moscou a confirmé mardi que le grand navire de débarquement Novotcherkassk avait subi des « dégâts ». L’armée ukrainienne, elle, a assuré avoir « détruit » ce navire, qui transportait des drones Shahed de construction iranienne, selon elle.

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Le navire se trouvait dans le port de Théodosie, sur le littoral sud-est de la Crimée, à environ 190 kilomètres de Sébastopol, principal port d’attache de la flotte russe sur la péninsule.

PHOTO SATELLITE DE MAXAR, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Le navire de débarquement russe Novotcherkassk a été endommagé par les forces ukrainiennes alors qu’il se trouvait dans le port criméen de Théodosie.

Une victoire « significative », selon Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. En effet, elle montre que l’Ukraine est en mesure de frapper ce port nettement plus éloigné que celui de Sébastopol. De ce fait, elle pourrait forcer l’armée russe à se retirer encore davantage de la région, explique-t-il.

Ça réduit la capacité de la Russie à frapper le sud de l’Ukraine. Et dans le cas de Sébastopol, ça complique les lignes de ravitaillement.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Une victoire symbolique

Au-delà des enjeux stratégiques, les deux experts estiment que les victoires ukrainiennes en mer Noire sont emblématiques. « Tout tourne autour de la Crimée », rappelle M. Arel.

La Crimée, territoire ukrainien annexé par la Russie en 2014, est essentielle à l’invasion russe. Selon Mme Popova, les gains en mer Noire rapprochent l’Ukraine de la possibilité de récupérer ce territoire.

Ça signale que la Crimée n’est pas si spéciale, pas si importante que la Russie ne la laisserait jamais aller.

Maria Popova, professeure associée à la chaire Jean-Monnet de l’Université McGill

Sans compter que les succès de l’Ukraine face à la flotte russe depuis cet automne ont permis la reprise de l’exportation des céréales ukrainiennes par voie maritime. Et ce, bien que Moscou eût mis fin l’été dernier à l’accord sur les céréales ukrainiennes.

Depuis août, l’Ukraine a pu exporter 10 millions de tonnes de produits via le corridor de la mer Noire, par 302 navires et vers 24 pays, a affirmé mardi le ministre ukrainien des Infrastructures, Oleksandr Koubrakov.

« L’Ukraine est parvenue à briser de façon unilatérale le blocus que la Russie lui avait imposé. Et ça, c’est une grande réalisation », note Mme Popova.

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La ligne de front figée

N’empêche que malgré d’intenses affrontements, les nouvelles ne sont pas aussi bonnes du côté de la ligne de front terrestre qui oppose l’armée ukrainienne aux vagues de soldats russes.

À la mi-novembre, les Ukrainiens ont réussi à traverser le Dniepr, dans le sud du pays, et à s’établir de l’autre côté de ce fleuve qui marquait depuis un an la ligne de front.

PHOTO FINBARR O’REILLY, THE NEW YORK TIMES

Des soldats ukrainiens tirent avec leur obusier en direction des positions russes sur la ligne de front dans la région de Donetsk.

Mais pour pouvoir pénétrer en profondeur en territoire occupé, l’armée ukrainienne devra réussir à transférer des équipements lourds dans cette zone sablonneuse et marécageuse.

« La contre-offensive dans le Sud est essentiellement bloquée, analyse Dominique Arel. L’Ukraine est incapable de faire des gains et la Russie est en position défensive. »

Quant à la ligne de front à l’est, la Russie est au contraire en mode contre-offensive. « ​​Ça n’avance pas beaucoup et les Russes subissent des pertes presque irréelles, mais ils parviennent à gagner un peu de terrain », détaille M. Arel.

PHOTO FINBARR O’REILLY, THE NEW YORK TIMES

Des soldats ukrainiens dans un bunker près de la ligne de front

En début de semaine, la Russie a revendiqué la prise de Marïnka, en banlieue de Donetsk, dans l’est du pays. Le lendemain, les Ukrainiens ont reconnu que ses troupes s’étaient retirées en périphérie de la ville.

La Russie a un avantage sur l’Ukraine au chapitre de l’artillerie et des munitions, ce qui fait que l’Ukraine est essentiellement noyée sous l’artillerie et des vagues humaines [de soldats].

Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Dans les circonstances, la prise de Marïnka, petite ville pour l’essentiel détruite, demeure une victoire « modeste » pour la Russie, selon lui.

« Les Ukrainiens se battent avec un bras attaché dans le dos : sans soutien aérien et sans armes de longue portée », rappelle aussi Maria Popova.

Avec le budget du soutien à l’Ukraine toujours bloqué par le Congrès américain, et l’entrée en année électorale chez nos voisins du Sud, c’est surtout de ce côté qu’il faudra regarder pour prédire la suite de la guerre en Ukraine, concluent les deux spécialistes.

Avec l’Agence France-Presse