(Londres) Ce n’est pas une surprise, loin de là. Comme prévu par les sondages, Liz Truss est devenue lundi la nouvelle cheffe du Parti conservateur britannique, succédant de facto à Boris Johnson comme première ministre du Royaume-Uni.

Âgée de 47 ans, celle qui était jusqu’ici ministre des Affaires étrangères l’a emporté avec 81 326 voix (57 %) contre 66 399 (43 % contre) pour son adversaire, l’ancien ministre des Finances Rishi Sunak, dans un vote tenu auprès des quelque 200 000 adhérents de la formation politique de droite, qui détient toujours une confortable majorité au Parlement britannique.

Elle devient du même coup la troisième femme à diriger le Royaume-Uni, après Margaret Thatcher (1979-1990) et Theresa May (2016-2019).

Mais son passage à Downing Street n’aura rien d’une lune de miel. Mme Truss prend le pouvoir dans un contexte économique difficile, voire explosif, alors que le pays fait face à une inflation importante (plus de 10 %, du jamais-vu depuis 40 ans) et à une crise historique du coût de la vie, qui se manifeste principalement par une hausse spectaculaire des prix du gaz et de l’électricité, ainsi qu’une grogne sociale qui prend de l’ampleur avec des grèves qui se succèdent.

Dans son premier discours officiel, Mme Truss a tenu à se faire rassurante en promettant « des mesures audacieuses pour réduire les impôts et faire croître l’économie », slogans maintes fois répétés lors de sa campagne.

Puis elle s’est engagée plus spécifiquement sur l’enjeu du moment : « Je m’attaquerai à la crise énergétique en m’occupant des factures d’énergie des gens, mais aussi en m’occupant des difficultés à long terme d’approvisionnement en énergie », a-t-elle déclaré. Pas plus de détails, quoique, selon les médias britanniques, la nouvelle première ministre pourrait annoncer sous peu un gel des factures d’énergie, un plan « qui coûterait des milliards », selon la BBC.

Mais ces belles paroles ne semblent pas convaincre tout le monde.

Selon un sondage YouGov publié il y a deux jours, 52 % des Britanniques estiment que Liz Truss ferait une « mauvaise ou affreuse première ministre », et c’est aussi ce qu’on entendait, lundi, dans les rues de Londres.

Assis sur un banc à l’heure du dîner, Steve Townrow, fin cinquantaine, convient que le « timing » n’est pas idéal pour Mme Truss, qui perdra forcément des plumes lors de son séjour à Downing Street.

« Elle prend vraiment un job de merde, tranche-t-il. Avec tout ce qui se passe en ce moment, la crise du coût de la vie, la guerre en Ukraine, l’après-Brexit, l’après-COVID, elle ne peut tout simplement pas réussir. »

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Des manifestants célébraient le départ de Boris Johnson, à Westminster, en marge du rassemblement du Parti conservateur.

Même son de cloche chez Thérèse Montaigu, qui nous répond dans un accent cockney prononcé que ne laisse pas deviner son nom.

« Je ne m’attends à rien de bon de cette femme, lance la sexagénaire. Il y a quelque chose en elle qui ne m’inspire pas confiance. Je veux bien lui donner sa chance, mais à mon avis, elle sera comme les autres. Les riches resteront riches et les pauvres resteront pauvres. »

Avec un peu de chance, peut-être qu’elle nous fera moins honte que son prédécesseur.

Thérèse Montaigu

Rencontrer la reine

Députée conservatrice depuis 2010, Liz Truss est une championne du libre-échange et une antisyndicaliste affichée, souvent décrite comme une émule de Margaret Thatcher. Cette ancienne militante libérale-démocrate, qui s’est « droitisée » avec les années, a occupé divers ministères (Environnement, Commerce, Justice) avant d’aboutir aux Affaires étrangères sous la houlette de Boris Johnson, de qui elle est restée solidaire jusqu’au bout.

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Margaret Thatcher, première femme première ministre du Royaume-Uni, de 1979 à 1990

Ce dernier s’est d’ailleurs empressé de féliciter sa successeure, lundi, appelant le parti à l’unité, après une campagne qui a mis au jour les divisions dans la formation politique.

Johnson doit ce mardi remettre sa démission à la reine Élisabeth dans la résidence d’été royale de Balmoral, en Écosse, une première pour la souveraine de 96 ans, qui a du mal à se déplacer et ne fera pas le voyage à Londres.

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Boris Johnson

Liz Truss lui emboîtera le pas et deviendra officiellement le 15e premier ministre en 70 ans pour la monarque, avant de revenir dans la capitale pour prononcer son premier discours officiel et former son gouvernement.

Reste à voir combien de temps durera son passage à Downing Street.

Mme Truss a promis lundi une « grande victoire » à sa formation lors des élections législatives prévues pour 2024. Mais après 12 ans de pouvoir, les tories montrent des signes de fatigue, et les scandales à répétition pendant le règne de « BoJo » n’ont rien fait pour aider leur crédibilité. Le parti est actuellement à la traîne dans les sondages, une dizaine de points derrière les travaillistes de Keir Starmer, mais rien ne dit que Liz Truss aura l’étoffe pour redresser la barre dans un contexte aussi compliqué, qui ne risque pas de s’améliorer dans les prochains mois.

« Je soupçonne qu’elle sera très semblable à Boris Johnson, en ce qu’elle promet tout mais ne livre pas beaucoup », conclut Christopher Stafford, professeur de politique à l’Université de Nottingham. Elle n’a pas de grande vision ni de stratégie pour le Royaume-Uni. « Elle veut simplement être première ministre. Comme Johnson, il ne faut pas s’attendre à des politiques substantielles ou consistantes. Truss ira probablement dans la direction où souffle le vent… »

Avec l’Agence France-Presse