(Ankara) Des commémorations du génocide arménien ont été annulées dimanche en Turquie en raison d’interdictions émises par les autorités, au moment où Ankara et Erevan tentent de normaliser de leurs relations.

Deux rassemblements en extérieur, l’un à Ankara et l’autre à Istanbul, n’ont pu avoir eu lieu, selon les deux ONG turques qui avaient appelé à leur tenue et un journaliste de l’AFP présent sur place.

À Istanbul, deux commémorations en plein air se sont toutefois déroulées au cours du week-end – après deux années d’interruption due à la pandémie –, dont l’une organisée par des membres du parti d’opposition HDP.

« La police autorise désormais les rassemblements à condition que nous n’utilisions pas le mot génocide. Mais nous ne voulons pas nous soumettre à cette interdiction », a expliqué à l’AFP Ayse Gunaysu, membre de l’Association des droits de l’homme (IHD), qui a tenu dimanche une conférence de presse dans ses locaux à Istanbul, à défaut de pouvoir le faire sur la voie publique.

PHOTO ADEM ALTAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

« Les hommes politiques turcs veulent nous faire taire. Nous ne le ferons pas. Nous continuerons à commémorer nos ancêtres », a déclaré dimanche à Istanbul le député HDP d’origine arménienne Garo Paylan, qui a déposé cette semaine une proposition de loi pour la reconnaissance du génocide arménien.

Perpétré en 1915 par les troupes ottomanes, le génocide des Arméniens est commémoré le 24 avril, date des premières arrestations d’intellectuels arméniens, considérée comme le début du génocide.

Sujet tabou pendant des décennies en Turquie – qui réfute le terme de génocide et évoque une guerre civile doublée d’une famine –, le génocide arménien a commencé à être commémoré par des intellectuels turcs à partir de 2005.

Des centaines de Turcs se sont joints au fil des ans aux commémorations organisées dans différents lieux de mémoire d’Istanbul, marquant leur distance vis-à-vis de la position officielle.  

Des rassemblements, expositions, présentations de livres et débats sur le sujet se sont également tenus dans d’autres villes du pays, d’Ankara à Diyarbakir (sud-est), tolérés par les autorités malgré leur refus constant de reconnaître le génocide.

Les autorités ont toutefois durci le ton à partir de 2016, en interdisant les commémorations sur la place Taksim, puis à Sultanahmet, deux quartiers centraux d’Istanbul.

« Souffrances ignorées »

Pour beaucoup d’activistes, le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie, entamé en janvier, n’a rien changé.  

La reconnaissance du génocide ne figure d’ailleurs pas au menu des discussions entre Ankara et Erevan, qui n’ont jamais établi de relations diplomatiques formelles et dont la frontière commune est fermée depuis 1993.

Selon des observateurs, l’absence de cette question du menu des pourparlers pourrait faciliter leur progression, car malgré des avancées dans la société et les messages de condoléances présentés depuis 2014 par la présidence turque aux descendants des Arméniens tués en 1915, la position d’Ankara n’a pas réellement changé.

« À l’époque où les commémorations du 24 avril pouvaient être organisées plus librement, il y avait une autre atmosphère, plus démocratique, dans le pays. Ce n’est plus le cas », estime Yetvart Danzikyan, rédacteur en chef d’Agos, journal stambouliote publié en turc et en arménien.

Le putsch raté de juillet 2016 contre le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est traduit par un durcissement contre les opposants.

« Il n’y a absolument pas eu de génocide », a martelé cette semaine le directeur de la communication de la présidence turque, Fahrettin Altun, qui a dénoncé des accusations « nulles et non avenues » contre la Turquie.

Le journal progouvernemental Yeni Akit a lui qualifié vendredi de « honteuse » la proposition de loi pour la reconnaissance du génocide arménien déposée par le député Garo Paylan.

« Chaque 24 avril, les souffrances de ma famille sont ignorées. La négation devient plus forte en Turquie en avril », a regretté samedi Alin Ozinian, journaliste arménienne d’Istanbul dans une chronique publiée sur le média en ligne ArtiGerçek.

Face à des manifestants arméniens hostiles à sa visite à Montevideo (Uruguay) samedi, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a lui répondu par un long sourire, avant d’effectuer le signe de ralliement des « Loups Gris », un mouvement ultranationaliste turc associé dans le passé à de nombreux assassinats politiques.