Ce sera «République de Macédoine du nord»: Athènes et Skopje sont finalement arrivés mardi à un accord sur le nom de la Macédoine, après une querelle de 27 ans, rendant possible un déblocage de l'adhésion de la petite ex-République yougoslave à l'UE et à l'OTAN.

Au terme d'un marathon diplomatique entamé l'an dernier qui a été conclu lundi et mardi lors de deux entretiens téléphoniques, les premiers ministres Alexis Tsipras et Zoran Zaev ont pu annoncer l'accord au centre duquel se trouve le nouveau nom.

M. Tsipras, en allant le présenter au chef de l'État grec Procope Pavlopoulos, s'est félicité d'un «bon accord qui couvre toutes les conditions posées par la Grèce».

En particulier, Skopje accepte de modifier sa Constitution en conséquence, en échange de la possibilité de garder le nom de Macédoine assorti d'une référence géographique.

Cette tâche s'annonce épineuse dans la mesure où M. Zaev ne dispose pas de la majorité qualifiée pour procéder à ces changements et où l'opposition nationaliste a dénoncé l'accord, le qualifiant de «capitulation».

Le premier ministre a mené les négociations «de manière incompétente et accepté toutes les revendications de la Grèce», a déclaré Hristijan Mickoski, patron du VMRO (opposition, droite nationaliste), à la presse à Skopje.

«Le VMRO n'acceptera pas les changements du nom constitutionnel» du pays, (République de Macédoine, NDLR), a-t-il ajouté.

En Grèce, le nom du voisin ne sera reconnu officiellement que sous sa formulation en macédonien de «Severna Makedonja», ont annoncé les services de M. Tsipras.

M. Zaev de son côté a salué «une solution historique après deux décennies et demie» de querelles.

L'accord n'est cependant pas définitif et doit encore être ratifié par le Parlement macédonien puis soumis à un référendum à l'automne, avant d'être enfin ratifié par le Parlement grec une fois l'acceptation définitivement actée chez son voisin du nord.

«Je croise les doigts»

Depuis l'indépendance de l'ancienne République yougoslave en 1991, la question du nom de la Macédoine a été un âpre sujet de discussion de part et d'autre de la frontière, attisé régulièrement au gré du plus ou moins grand nationalisme des gouvernements en place.

La Grèce ne tolérait pas que son voisin prenne le nom de sa province septentrionale et s'arroge la splendeur et les hauts faits des deux grands rois de Macédoine antique, Philippe II et son fils Alexandre le Grand.

En conséquence, Athènes ne reconnaissait officiellement l'Ancienne République yougoslave de Macédoine que sous cet acronyme (ARYM), tout comme Berlin ou Paris, tandis que plus de 140 pays dont la Russie, les États-Unis, la Chine ou le Royaume-Uni avaient accepté «Macédoine».

Surtout, Athènes a mis son veto à toute tentative de Skopje de rejoindre l'OTAN et l'UE.

L'immense enjeu du règlement pour la Macédoine est donc de décrocher un feu vert au sommet européen de fin juin pour entamer des négociations d'adhésion avec l'UE et d'obtenir une invitation à rallier l'OTAN au sommet de l'Alliance des 11 et 12 juillet.

L'accord a été salué par une salve de félicitations, notamment de la part des dirigeants de l'UE et de l'OTAN.

«Sincères félicitations aux PM (Tsipras et Zaev). Je croise les doigts. Grâce à vous l'impossible devient possible», s'est enthousiasmé le président du Conseil européen Donald Tusk sur Twitter.

Même tonalité de la part de la vice-présidente de la Commission européenne Federica Mogherini et du Commissaire à l'Intégration européenne Johannes Hahn qui, dans un communiqué, ont «salué de tout coeur» les deux premiers ministres pour «leur détermination et leur leadership dans cet accord (...) qui contribue à la transformation de toute l'Europe du Sud-est».

Choeur de louanges

Le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg a lui aussi «salué chaleureusement la nouvelle», au terme de «nombreuses années de patiente diplomatie». Il a demandé aux deux pays de «finaliser l'accord», pour «mettre Skopje sur la voie de l'adhésion à l'OTAN» et «renforcer la paix et la stabilité» dans les Balkans occidentaux.

Matthew Nimetz, l'émissaire des Nations-Unies pour cette affaire depuis l'origine, a également chaleureusement félicité» les deux hommes et leurs ministres des Affaires étrangères, Nikola Dimitrov et Nikos Kotzias.

Enfin le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas a salué une «formidable nouvelle».

Il n'est pas certain que ce choeur de louanges, qui acte le début du chemin de Skopje vers l'intégration, convaincra les franges nationalistes qui persistent de part et d'autre de la frontière.

Au point que selon Nicholas Tzifakis, qui enseigne les relations internationales à l'Université du Péloponnèse, c'est «le débat interne» plus «que les pourparlers bilatéraux» qui sera déterminant au bout du compte.

Proche de la droite nationaliste, le président macédonien Gjorge Ivanov avait ainsi considéré mardi en milieu de journée qu'il était «irresponsable que la question du nom (...) soit débattue au téléphone entre les premiers ministres».

L'allié de M. Tsipras au sein de son gouvernement, le ministre souverainiste de la Défense Panos Kammenos, est quant à lui opposé depuis toujours à tout partage du nom de Macédoine.

Une longue querelle historique

De conquêtes en guerres civiles, l'imbroglio gréco-macédonien, dont Athènes et Skopje sont sortis mardi, s'est constitué en quatre temps, sur plus de 2000 ans d'histoire.

Antiquité

Tout commence au IVe siècle av. J.-C. avec le roi Philippe II de Macédoine, qui conquiert et unifie les cités grecques. S'il est traité de «barbare» par l'orateur athénien Démosthène, son fils, Alexandre, formé par le philosophe Aristote, deviendra l'un des plus célèbres hérauts de la culture hellénique, qu'il porte jusqu'aux limites du monde alors connu.

La Grèce moderne a fait de cet héritage une partie intégrante de son identité nationale, même si le débat historique se poursuit sur l'origine et la langue des Macédoniens anciens.

De quoi faire descendre plus d'un million de Grecs dans la rue quand leurs voisins du nord, descendants d'arrivants ultérieurs, slaves et albanais, ont commencé à le leur disputer dans les années 90.

Après une longue bataille livrée à coups de statues géantes et de symboles, Skopje a officiellement renoncé cet hiver à cette appropriation historique, une «usurpation», disent les Grecs, en débaptisant son aéroport et sa principale autoroute, précédemment nommés Alexandre le Grand.

Guerres balkaniques 1912-13

Devenue au fil des empires, romain, byzantin puis ottoman, un creuset multiethnique, la région de Macédoine est au centre de la compétition acharnée que se livrent sur les dépouilles de l'Empire ottoman en Europe les États-nations naissants, Grèce, Serbie et Bulgarie, et les grandes puissances d'alors, Autriche-Hongrie, Russie, France et Grande-Bretagne.

La Grèce finira par en obtenir plus de la moitié, avec comme fleuron de sa nouvelle province portant le nom de Macédoine le port de Salonique, seul accès maritime régional. Mais le partage coûtera deux guerres qui se sont soldées par une vague d'épurations ethniques et de déplacements massifs de populations. La Bulgarie doit céder le plus gros des territoires qu'elle revendiquait et l'équivalent de l'État actuel devient une province du Royaume de Yougoslavie.

Exit dans l'immédiat tout projet national macédonien, c'est à cette époque Athènes et Sofia qui se regardent en chiens de faïence.

Guerres mondiale et civile 1940-49

Dans le sillage des troupes nazies, la Bulgarie prend sa revanche en envahissant une partie de la Macédoine grecque. Le souvenir cuisant laissé par cette poussée contribuera à nourrir un demi-siècle plus tard la méfiance envers un présumé irrédentisme de la Macédoine ex-yougoslave.

Entretemps, la fin du conflit mondial débouche en Grèce sur une guerre civile entre les troupes communistes qui ont dominé la résistance et les forces royalistes, chapeautées par Londres puis Washington.

Rapidement, les combats se concentrent dans le nord, où une minorité slavo-macédonienne, laissée par le découpage du début du siècle, est soupçonnée d'être un relais d'ambitions territoriales prêtées au régime communiste du Maréchal Tito.

Elle en paiera le prix en devant fuir massivement en Yougoslavie à la fin de la guerre. Cette route de l'exil a notamment été suivie par des parents de l'actuel maire de Skopje et du ministre des Affaires étrangères, Nikola Dimitrov, selon les médias grecs.

Démantèlement yougoslave 1991-2008

Seule ancienne république yougoslave, avec le Monténégro ultérieurement, à avoir fait sécession sans guerre, en 1991, la Macédoine n'en est pas moins emportée dans le tourbillon nationaliste qui saisit alors la région.

Athènes, qui a rallié la cause serbe et soutient le régime de Slobodan Milosevic, cède à la tentation de la surenchère en lui déniant le droit de conserver une quelconque mention au nom de Macédoine, même sous la forme d'un adjectif. La Grèce ira jusqu'à imposer un embargo économique, levé en 1995, au risque d'aggraver les tiraillements à l'intérieur du jeune État entre majorité slave et minorité albanaise.

Le pays voisin devient innommable pour les Grecs, qui le désignent dans le langage courant sous le nom de sa capitale, Skopje, ses habitants étant baptisés «Skopiani».

Quand la fièvre retombe côté grec, la droite nationaliste macédonienne prend le relais, gelant toute perspective d'accord jusqu'à l'arrivée au pouvoir en 2017 de la coalition social-démocrate dirigée par Zoran Zaev.

Des relations Athènes/Skopje empoisonnées pendant presque 30 ans

Le nom qui fâche

Le 8 septembre 1991, la Macédoine proclame son indépendance de l'ex-Yougoslavie. Mais sa reconnaissance par la communauté internationale est immédiatement bloquée par la Grèce qui considère le nom de Macédoine comme faisant exclusivement partie de son patrimoine historique: Alexandre Le Grand est né à Pella, une ville de la province frontalière grecque portant aussi le nom de Macédoine. Athènes craint que l'usage du même nom par Skopje ne cache des velléités de revendications territoriales.

À l'ONU sous un nom provisoire

En 1993, la Macédoine est finalement admise à l'ONU sous l'appellation provisoire d'«Ancienne République yougoslave de Macédoine» (ARYM en français, FYROM en anglais).

Une large majorité de pays, dont la Russie et les États-Unis, ont depuis reconnu ce pays des Balkans sous son nom constitutionnel de «République de Macédoine».

Blocus commercial

En 1994, la Grèce impose un embargo économique à la Macédoine, interdisant notamment à ce petit pays enclavé d'utiliser le port grec de Thessalonique, sa principale voie d'échanges commerciaux.

Les autorités grecques exigent que la Macédoine renonce à son drapeau frappé du soleil de Vergina -un emblème de l'antique dynastie macédonienne et un «symbole grec» pour Athènes-, et retire de sa Constitution certains articles.

Amorce de détente

En 1995, les deux pays signent à New York un accord ouvrant la voie à une normalisation de leurs relations politiques et commerciales tout en laissant en suspens la question du nom.

Le mois suivant, ils ouvrent des bureaux de liaison dans leurs capitales respectives et le nouveau drapeau de l'ex-république yougoslave de Macédoine (où le symbole controversé a été remplacé par un autre motif ne faisant que s'en inspirer) est hissé pour la première fois aux Nations unies.

Le soutien de la Grèce à son voisin

En 2001, la Grèce, le seul pays de la région à la fois membre de l'OTAN, de l'UE et de la zone euro, affiche son soutien à son voisin en proie à un conflit armé entre forces gouvernementales et rebelles albanais. Pays multiethnique, la Macédoine abrite une importante minorité albanaise (entre 20 et 25 % de la population).

Veto grec

En 2005, la Macédoine obtient le statut de candidat à l'UE. Mais la date d'ouverture des négociations d'adhésion, qui doit être approuvée à l'unanimité, est bloquée par la Grèce.

L'ARYM privée d'OTAN

En 2008, la Macédoine se porte candidate à l'OTAN sous son nom provisoire d'«ARYM», mais se heurte une nouvelle fois au veto grec.

Les relations entre les deux pays s'enveniment avec l'érection en 2011 à Skopje d'une statue monumentale d'Alexandre le Grand, une «provocation» selon Athènes.

Tensions autour des migrants

En 2016, après la fermeture de la route dite des Balkans, Athènes accuse les autorités de Skopje d'usage excessif de la force au cours d'incidents avec des centaines de migrants qui tentaient de forcer la frontière avec la Macédoine.

La main tendue

Dès son élection, en juin 2017, le nouveau premier ministre macédonien Zoran Zaev promet d'approfondir la «bonne amitié» avec la Grèce pour trouver une «solution» à la querelle et relancer le processus d'adhésion à l'UE et à l'OTAN.

République de Macédoine du Nord

Malgré une forte opposition des nationalistes, les négociations sont relancées en janvier 2018 sous l'égide de l'ONU.

Après plusieurs rencontres bilatérales, Athènes et Skopje concluent un accord historique le 12 juin pour que l'ex-république yougoslave soit rebaptisée «République de Macédoine du Nord» et modifie en conséquence sa Constitution. Ce nom devra s'appliquer «erga omnes», c'est-à-dire en toutes circonstances.