Un tribunal d'Istanbul a ordonné lundi le maintien en détention de quatre collaborateurs du quotidien d'opposition Cumhuriyet, à l'issue d'une audience tendue marquée par un vif échange entre l'un des accusés et le juge.

Le tribunal a décidé de maintenir en détention préventive le patron du journal Akin Atalay, son rédacteur en chef Murat Sabuncu, son journaliste d'investigation vedette Ahmet Sik et son comptable Emre Iper, a indiqué à l'AFP l'un des avocats de la défense.

Le procès a été renvoyé au 9 mars et la prochaine audience se déroulera dans la prison de Silivri, à la lisière d'Istanbul, a indiqué Me Kemal Aytaç après l'énoncé de la décision à huis clos.

Au total, 17 dirigeants, journalistes et autres employés actuels ou passés de Cumhuriyet, un quotidien critique du président Recep Tayyip Erdogan, sont jugés pour « activités terroristes », une affaire qui cristallise les inquiétudes liées à l'érosion de la liberté de la presse en Turquie.

La cinquième audience de ce procès a été marquée par l'expulsion de l'un des accusés, le journaliste d'investigation Ahmet Sik, à la demande du président du tribunal qui lui reprochait de se livrer à une « défense politique », a constaté l'AFP.

S'exprimant devant la cour, le journaliste a accusé le gouvernement de « traiter comme des terroristes ceux qui ne lui ressemblent pas » et la « justice contrôlée par le pouvoir » de porter des « accusations absurdes ».

« Ca suffit ! Si vous voulez faire de la politique, devenez député ! (...) Je ne peux pas laisser l'accusé continuer ainsi. Qu'on le fasse sortir de la salle », a alors lancé le président du tribunal, Abdurrahman Orkun Dag.

Cette décision a indigné les dizaines de soutiens de Cumhuriyet venus assister au procès : « Vous finirez par être jugés un jour ! », « Ahmet (Sik) sortira de prison, il écrira de nouveau ! », ont-ils lancé dans la salle chauffée à blanc, provoquant une suspension d'audience.

« Symbole des pressions »

Emblématique des atteintes à la liberté de la presse en Turquie, le « procès Cumhuriyet » suscite l'inquiétude dans le pays et à l'étranger.

Les 17 collaborateurs du journal risquent jusqu'à 43 ans de prison pour des accusations d'aide à trois groupes considérés comme « terroristes » par Ankara : le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), l'organisation d'extrême gauche Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), ainsi que le mouvement du prédicateur Fethullah Gulen.

Ce dernier est désigné par Ankara comme l'instigateur de la tentative de putsch du 15 juillet 2016, mais nie toute implication.

Cumhuriyet rejette ces accusations et soutient que ce procès vise à réduire au silence l'un des derniers journaux indépendants du pays.

Ce procès « est le symbole des pressions exercées contre les journalistes », a déclaré à l'AFP une avocate de la défense, Me Gülendam San Karabulutlar.

Les soutiens de Cumhuriyet dénoncent le maintien en détention préventive de quatre des 17 accusés : Ahmet Sik, le plus célèbre journaliste d'investigation du pays, est écroué depuis 360 jours. MM. Atalay et Sabuncu sont eux en détention depuis plus d'un an. Le comptable Emre Iper est emprisonné depuis 263 jours.

Ce procès suscite l'inquiétude des partenaires occidentaux de la Turquie, où les autorités ont multiplié les arrestations de journalistes après le putsch manqué.

Selon le site internet P24, spécialisé dans la liberté de la presse, quelque 170 journalistes sont détenus en Turquie, qui occupe la 155e place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par l'ONG Reporters sans frontières (RSF).