Cinq jours après le choc du Brexit, les dirigeants européens ont concédé mardi soir à Bruxelles un répit au Royaume-Uni tout en l'avertissant que le temps est compté pour engager son divorce avec l'UE.

Les chefs d'État et de gouvernement de l'Union reconnaissent «qu'un peu de temps est nécessaire pour que le calme revienne», a déclaré le président du Conseil européen Donald Tusk à la presse à l'issue d'un dîner des 28 consacré au Brexit.

Son homologue de la Commission, Jean-Claude Juncker, a lui aussi dit «comprendre que David Cameron ait besoin de temps», mais il a insisté pour que Londres enclenche «aussi vite que possible» la procédure régissant sa future séparation.

«Nous n'avons pas des mois pour méditer, nous devons agir», a prôné M. Juncker.

Le premier ministre conservateur britannique n'a rien cédé sur ce point en répétant qu'il laisserait à son successeur au 10, Downing Street le soin d'activer la «clause de retrait» de son pays, l'article 50 du Traité de Lisbonne (2009).

«La décision de faire jouer l'article 50 reviendra au prochain cabinet une fois qu'il aura déterminé le but poursuivi», a-t-il répété.

Pour son ultime apparition à un sommet européen, David Cameron a été contraint à la douloureuse tâche d'expliquer son cuisant échec au référendum du 23 juin, qui a vu 52% des Britanniques voter pour larguer les amarres avec l'Europe.

Il a défendu sa décision de convoquer un référendum: «Bien sûr que je regrette le résultat mais je ne regrette pas d'avoir organisé le référendum, c'était la bonne chose à faire».

Cameron «ému» 

«Il était ému (...) Il avait plaidé pour une réponse du peuple britannique qui n'a pas été celle du scrutin», a raconté le président français François Hollande.

«Il sentait bien que c'était une décision historique et se sentait responsable», a-t-il témoigné, soulignant qu'il n'y avait eu «autour de la table pas de volonté d'humilier» M. Cameron «parce que ç'aurait été humilier le peuple britannique».

Les flèches ont plutôt été décochées à l'attention des partisans du Brexit. «Ce que je ne comprends pas, c'est que ceux qui voulaient partir soient totalement incapables de nous dire clairement ce qu'ils veulent», a ainsi accusé Jean-Claude Juncker.

À la peine depuis leur victoire surprise au référendum, les chefs du camp du Brexit ont commencé à rétropédaler sur des promesses phares de leur campagne.

M. Cameron a plaidé à Bruxelles pour une «relation la plus étroite possible» entre Londres et l'UE une fois le divorce effectif, faisant valoir que les 27 autres États membres resteront «des voisins, des amis, des alliés, des partenaires».

Alors que l'immigration, notamment d'Europe de l'Est, a joué un rôle majeur dans la campagne référendaire, il a jugé devant ses homologues qu'une «réforme de la libre circulation des personnes» au sein de l'UE constituait «la clé pour rester proche» de l'Union.

François Hollande lui a répondu par une fin de non-recevoir, refusant de «transiger» sur «les quatre libertés» du marché unique.

«On ne peut pas avoir la liberté des capitaux, la liberté des marchandises, la liberté des services et puis dire pour les personnes: «Restez chez vous»», a martelé le président français.

Avant même le début du sommet, les Européens avaient prévenu les Britanniques que Londres ne pouvait escompter une négociation «à la carte».

«Celui qui sort de la famille ne peut pas s'attendre à ce que tous ses devoirs disparaissent et que ses privilèges soient maintenus», avait averti la chancelière allemande Angela Merkel. 

Quel futur pour l'UE? 

Le sommet de Bruxelles doit se poursuivre mercredi sans le premier ministre britannique, avec un premier débat «informel» à 27 sur l'avenir de l'UE post-Brexit.

L'Union «est assez forte pour surmonter le départ de la Grande-Bretagne et continuer à aller de l'avant même à 27», a voulu rassurer Mme Merkel.

Les Européens sont décidés à «tirer les leçons» du Brexit pour éviter une contagion, dans une Union affaiblie par une succession de crises, notamment migratoire, et où l'extrême droite et les mouvements populistes ont le vent en poupe.

L'Allemagne, la France et l'Italie, les trois poids lourds fondateurs de l'UE et principales économies de la zone euro, ont plaidé pour donner une «nouvelle impulsion» au projet européen, aux contours encore flous.

«Tout le monde a les yeux tournés vers l'Europe», qui doit être «suffisamment forte pour agir», a François Hollande à Bruxelles.

Parmi les chantiers à engager, il a insisté sur la sécurité, la lutte antiterroriste --un attentat a encore fait 36 morts à l'aéroport d'Istanbul mardi soir--,  la croissance et l'emploi.

Mais alors qu'une initiative franco-allemande était attendue, Paris et Berlin n'apparaissent pas encore sur la même longueur d'onde quand il s'agit de détailler un projet commun.

Les pays fondateurs de l'Union «ne sont pas les seuls à porter le projet», a mis en garde M. Juncker, dans un appel à associer la voix des pays d'Europe de l'Est.

«Le Royaume-Uni ne sera pas le dernier État membre à quitter l'UE», a prédit devant ses collègues européens l'eurodéputé europhobe britannique Nigel Farage, qui n'a pas boudé son plaisir mardi à Bruxelles.

Au Royaume-Uni, le Brexit a cependant toujours du mal à passer chez ceux qui ont voté contre. La tourmente politique y est d'autant plus dévastatrice que revient au premier plan la menace d'une sécession de l'Ecosse, qui s'est prononcée à 62% pour le maintien dans l'UE.

La première ministre écossaise Nicola Sturgeon s'est dite «complètement déterminée» à défendre, malgré le Brexit, la place de sa région dans l'UE. Elle a prévu de venir plaider sa cause mercredi à Bruxelles.

À Londres, l'opposition travailliste est au bord de l'implosion. Son chef, Jeremy Corbyn, accusé d'avoir trop tièdement défendu le maintien dans l'UE, a refusé mardi de démissionner malgré une motion de défiance votée contre lui.

Le ministre conservateur des Finances George Osborne a de son côté jugé inévitable un surcroît d'austérité pour parer à l'impact économique du Brexit sur le pays.

AFP

David Cameron