Une entreprise peut-elle congédier une employée portant le voile sous prétexte que des clients se plaignent de sa tenue ? Ou encore exiger qu'elle le retire en évoquant une politique interne de « neutralité » qui interdit les signes religieux ostentatoires ?

Ces questions sont au coeur de litiges en France et en Belgique témoignant d'une ambiguïté juridique relative au port du voile en milieu de travail que les tribunaux des deux pays souhaitent voir clarifier par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Le premier découle d'un conflit entre une firme de consultants en informatique française, Micropole Univers, et une employée, Asma Bougnaoui, qui a commencé à travailler pour l'entreprise à l'été 2008.

Selon les documents juridiques disponibles, elle a été congédiée 11 mois plus tard après que son employeur lui a demandé, en vain, de retirer son voile.

VERS UNE DIRECTIVE EUROPÉENNE ?

Les dirigeants de Micropole Univers ont déclaré que la tenue vestimentaire de Mme Bougnaoui avait rendu mal à l'aise certains membres du personnel de l'entreprise à laquelle elle prêtait assistance, poussant ses dirigeants à demander qu'il n'y ait « pas de voile » la prochaine fois.

Se jugeant victime de discrimination, l'employée congédiée s'est plainte devant un tribunal du travail, sans obtenir gain de cause. Le juge a notamment retenu qu'elle avait été avisée, au moment de l'embauche, qu'elle ne pourrait pas porter de voile lors d'interactions avec des clients.

La directive en question interdit « toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions ». Elle prévoit cependant qu'une exception est possible si une « caractéristique liée à la religion ou aux convictions » constitue une « exigence professionnelle essentielle et déterminante ».

CLARIFICATION DEMANDÉE

La Cour de cassation belge demande aussi à la CJUE de clarifier la portée de la directive controversée pour trancher dans le dossier de Samira Achbita.

Cette réceptionniste a annoncé à son employeur, G4S Secure Solutions, après quelques années de service, qu'elle entendait porter le voile. La firme, évoquant un règlement interne, a affirmé que sa décision était contraire à la politique de « neutralité » de l'entreprise et ne pouvait être tolérée.

La Cour de cassation belge veut savoir plus spécifiquement s'il est possible de parler de discrimination dans une entreprise qui dispose d'une politique interdisant à l'ensemble des travailleurs de porter des signes d'appartenance à une religion, toutes religions confondues.

Selon le quotidien Le Monde, l'avocate générale de la CJUE a fait valoir hier devant le tribunal qu'une telle restriction peut être justifiée dans certaines circonstances.

Il faut notamment considérer « la taille et le caractère ostentatoire du signe religieux, la nature de l'activité de la travailleuse et le contexte dans lequel elle doit exercer son activité ». Elle évoque aussi « l'identité nationale de l'État membre concerné » parmi les facteurs à prendre en compte.

OBJECTIVITÉ ET LAÏCITÉ

Ce n'est pas la première fois que le port du voile en milieu de travail soulève la polémique dans les deux pays.

La France avait notamment été secouée il y a quelques années par une vive polémique après le congédiement d'une employée de garderie qui refusait de retirer son voile. 

L'association Baby Loup avait justifié son action en relevant que la liberté de religion des employés ne pouvait « faire obstacle au respect des principes d'objectivité et de laïcité » guidant les interventions auprès des enfants.

La Cour de cassation a statué en 2014 que la restriction imposée par la garderie était « justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés » et « proportionnée au but recherché ».

BANNIR LE VOILE À L'UNIVERSITÉ ?

La France, qui a déjà interdit le port du voile dans les écoles, débat de la possibilité d'étendre cet interdit aux universités. Le premier ministre Manuel Valls a suscité de vives réactions à ce sujet en avril dernier en relevant qu'une loi à ce sujet lui semblait souhaitable. Il a précisé qu'il serait cependant difficile d'aller de l'avant en raison des « règles constitutionnelles » existantes. Le secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur, Thierry Mandon, a assuré de son côté qu'un tel texte n'est pas nécessaire. « Quand on est usager d'un service public, on a le droit d'avoir un foulard, on peut en penser ce qu'on veut, mais ce droit existe », a-t-il noté. L'Union nationale des étudiants de France (UNEF) a accusé pour sa part le premier ministre « d'alimenter les fantasmes islamophobes » avec sa sortie.