Diffusion sur les radios de témoignages de femmes violées dénonçant la loi du silence, appel du président François Hollande à «regarder en face» le harcèlement, un «phénomène de masse»: la France a encore fort à faire pour combattre le déni d'une société valorisant la virilité.

La voix usée, Anna raconte son mari, Louis, qui «un soir, alors que je faisais ma toilette, est entré dans la salle de bain. Il m'a prise de force, il m'a violée. Pour moi ce fut le début du calvaire. J'avais trop peur pour divorcer, alors je me suis tu. Mais garder le silence pendant 30 ans, personne ne devrait subir ça».

À l'initiative du Collectif féministe contre le viol, ce témoignage, parmi d'autres, est diffusé depuis samedi sur les ondes pour inciter les victimes à sortir du silence dans lequel elles se sont emmurées par honte ou culpabilité.

En France, plus de 86 000 femmes par an sont victimes de viol ou tentative de viol. Or seuls 13 % des victimes portent plainte et 1 % des plaintes conduisent à une condamnation.

«Libérer la parole est la première étape de la reconstruction», estime Marie-France Casalis, une responsable de l'association.

Mais face à ce déséquilibre entre les faits et leur reconnaissance pénale, le Collectif demande aussi une enquête systématique à la suite des plaintes et que les agressions sexuelles soient considérées comme un crime et non un délit (ce qui entraine des peines moins lourdes).

En France, un viol - «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit» commis «par violence, contrainte, menace ou surprise» - est un crime passible de 15 ans de prison. Voire 20 en cas de circonstance aggravante: viol commis par le conjoint, sur une victime malade, infirme ou enceinte, sous la menace d'une arme...

Or une étude sur la perception du viol par les Français, publiée pour la première fois la semaine dernière par l'Association Mémoire traumatique et victimologie, a provoqué la stupeur en soulignant la persistance d'inquiétants stéréotypes.

Ainsi, 24 % des Français considèrent qu'une fellation forcée relève de l'agression sexuelle et non du viol. Quatre Français sur dix estiment en outre que la responsabilité du violeur est moindre si la victime se montre aguichante.

Quant aux jeunes, pour près d'un tiers des 18-24 ans, «les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d'une relation sexuelle».

«Mythe sexiste»

«Loi du silence, déni, impunité, absence de reconnaissance, de protection et abandon des victimes de violences sexuelles règnent encore en maîtres», déplore la présidente de l'association, Muriel Salmona.

S'exprimant pour la première fois dans un magazine féminin depuis son élection en 2012, à quelques jours du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, le président socialiste a reconnu un harcèlement «scandaleusement banalisé» dont sont victimes les femmes en France.

Les harcèlements verbaux ou physiques que subissent les femmes représentent «un phénomène de masse qui doit être regardé en face, car il atteint les principes mêmes de la vie en commun», estime-t-il dans le dernier numéro du magazine Elle, en annonçant de «nouvelles initiatives» parce qu'«aucun geste ne doit rester sans réponse».

La France est-elle cette société où perdure le «mythe sexiste d'une sexualité masculine naturellement violente», selon l'amère conclusion de l'étude sur les représentations du viol?

Selon le sociologue François de Singly, «la société porte au pinacle la notion de virilité, qui contient une logique de violence que l'on retrouve dans la guerre, la compétition et la sexualité. Et personne n'ose dire que cette virilité est condamnable».

Il souligne aussi que «les valeurs historiques qu'on a inculquées aux garçons sont des expressions de la violence», induisant au sein de la société que «la force est légitime». «Derrière la logique du viol, c'est la logique de la violence légitime», dénonce-t-il, en appelant à repenser l'éducation des garçons.

M. de Singly plaide aussi pour l'interdiction des châtiments corporels prodigués par les parents, qui valide dès le plus jeune âge l'idée d'une violence légitime. La France a été épinglée l'an dernier par le Conseil de l'Europe pour ne pas avoir encore clairement interdit la fessée et autres gifles, contrairement à une majorité de ses voisins européens.

«Tant que les corrections physiques ne sont pas interdites, tout discours contre le viol est hypocrite», juge-t-il.