Des impacts de balles partout, des voitures calcinées, des habitations réduites en amas de gravats. Les habitants de Kumanovo, dans le nord de la Macédoine, découvrent une scène désolante après une fin de semaine d'intenses combats entre les forces de l'ordre et un groupe armé, qui ravivent le spectre de l'insurrection de 2001. Explications en quatre points.

Affrontements meurtriers

Trente personnes ont été accusées de terrorisme, lundi, à la suite des violents affrontements survenus en fin de semaine. Parmi eux, 18 sont des ressortissants du Kosovo, un d'Albanie, et les 11 autres sont des Macédoniens d'origine albanaise. Ils se revendiqueraient de l'Armée nationale de libération de la Macédoine (UÇK-M). Tout a commencé samedi matin, quand la police macédonienne a lancé un assaut contre un «groupe armé» venu «d'un pays voisin» qu'elle soupçonnait de préparer des attentats terroristes. Des explosions, d'intenses échanges de tirs et le bourdonnement d'hélicoptères ont été entendus toute la journée. L'affrontement, qui a pris fin dimanche soir, s'est soldé par la mort de 22 personnes: 14 membres du groupe armé et huit policiers.

Minorité albanaise

La Macédoine abrite une population de 2,1 millions de personnes, dont le quart est d'origine albanaise musulmane. À l'époque, «c'est un État où la majorité slave domine l'appareil d'État», rappelle le professeur Renéo Lukic, de l'Université Laval, auteur du livre La désintégration de la Yougoslavie et l'émergence de sept États successeurs. Les événements de la fin de semaine rappellent le conflit armé de 2001, lorsque les forces macédoniennes avaient combattu pendant six mois l'UÇK-M. L'insurrection s'était soldée par les accords d'Ohrid, qui avaient instauré un «rééquilibre du pouvoir entre les deux communautés», explique le professeur Lukic. Selon lui, les affrontements de la fin de semaine sont l'oeuvre de «renégats» qui espèrent que «les Albanais de Macédoine vont reprendre la flamme de 2001», ce qu'il estime improbable.

Le rêve d'une grande Albanie

Renéo Lukic voit dans ces incidents violents l'action de «loups solitaires» qui espèrent déstabiliser le pays pour en redéfinir les frontières, ce qui rappelle «le projet d'une grande Albanie», dont l'objectif était de «fédéraliser dans un État national» l'Albanie, le Kosovo, l'ouest de la Macédoine et le sud de la Serbie, où se trouvent des populations albanaises. Or, aucun dirigeant des pays concernés ne s'est «jamais prononcé ouvertement» en faveur de ce projet, dit-il. Le professeur rejette par ailleurs la théorie voulant que les événements soient une diversion orchestrée par le gouvernement macédonien, empêtré dans une crise politique en raison d'accusations de corruption et d'espionnage à grande échelle. «C'est n'importe quoi!», s'exclame-t-il, ajoutant qu'il ne faut pas non plus y voir le signe de tensions religieuses entre Slaves orthodoxe et Albanais musulmans.

Lacunes sécuritaires

«La vraie question» est de savoir comment ces gens «lourdement armés» ont pu passer la frontière, affirme le professeur Renéo Lukic, qui estime que «ni la police ni les services de renseignement» n'ont fait leur travail. «Ça veut dire que l'État du Kosovo et l'État de la Macédoine ne maîtrisent pas leur sécurité», s'alarme-t-il, alors qu'ils sont pourtant des «États fonctionnels». D'autant plus que les conflits passés dans la région facilitent encore aujourd'hui l'accès à des armes. «Tout le monde sait que beaucoup d'arm es ont été cachées, mais comment ça se fait qu'on peut former un groupe [armé et passer la frontière]?», s'interroge-t-il. «Il y a un flagrant manquement de l'État de droit du côté du Kosovo et du côté de la république de Macédoine.