Comment former les responsables religieux à la laïcité? Depuis 2008, l'Institut catholique de Paris tente de répondre à cette question. On y a formé près de 150 étudiants - notamment des imams et aumôniers musulmans - à la laïcité et aux valeurs françaises. Laïcité et religions peuvent faire bon ménage, estiment les autorités françaises. Trois mois après les attentats djihadistes de Paris, elles espèrent reproduire cette initiative dans toute la France, explique notre journaliste.

Dans une petite salle de classe de l'Institut catholique de Paris (ICP), un vendredi soir de mars, six jeunes hommes russes et deux femmes d'origine algérienne écoutent le professeur. Le thème du cours: religion, laïcité et sécularisation. On parle notamment de l'apparition des aumôniers catholiques dans les prisons françaises, au XIXe siècle.

Ce sujet touche particulièrement Amina*. Professeure d'arabe venue d'Algérie, cette femme, qui porte un foulard coloré sur la tête, espère devenir aumônière pour les musulmans et musulmanes des prisons de Paris. «Je veux aller dans les prisons, comprendre pourquoi il y a des radicalisations, combattre ce fléau», dit-elle.

À l'origine, l'aumônier était en France un prêtre catholique. Les choses ont changé. Aujourd'hui, on compte en France des aumôniers protestants, juifs et musulmans, qui offrent du soutien notamment dans l'armée, dans les hôpitaux et les prisons. Selon plusieurs intervenants rencontrés dans le cadre de ce dossier, le besoin d'aumôniers musulmans est grand, notamment dans les prisons.

Nous assistons à l'une des formations de 225 heures de cours prévues dans le cadre du diplôme universitaire (DU) «Interculturalité, laïcité et religions» dans cette université privée que les Parisiens appellent familièrement «la Catho». Cela fait trois ans qu'Amina espérait venir se former ici pour devenir aumônière.

Avec près de 2 millions de musulmans (selon l'INSEE), l'islam est devenu la deuxième religion de France. Près de 1800 imams, aux profils hétérogènes, exercent sur le sol français. Certains y ont suivi des études; d'autres se proclament imams, sans formation. Certains sont français; d'autres sont détachés par des pays musulmans.

Dans ce pays sécularisé, les autorités ont toutefois depuis plusieurs années la tentation d'instaurer un islam de France. La formation offerte à l'ICP est née de ce désir, et a été conçue en partenariat avec le Bureau des cultes du ministère de l'Intérieur français. L'État a d'abord sollicité les universités publiques, qui ont décliné l'invitation, laïcité oblige. Avec ses 10 000 étudiants (dont 4500 étrangers), la Catho était alors toute désignée.

«Nous avons un savoir-faire dans la formation des adultes, et des personnes d'origine étrangère. Cela fait partie de notre politique de développer des formations utiles à la société», dit le recteur Philippe Bordeyne. Depuis, 150 étudiants ont été diplômés.

Souvent incomprise

Au début, ils étaient principalement musulmans, mais la formation s'est ouverte à de nouveaux profils. Cette année, ce sont de jeunes séminaristes russes orthodoxes qui sont venus en effet se former à l'équilibre «à la française» entre l'État et les religions.

Car si la laïcité n'a jamais été aussi présente dans le discours politique qu'au cours de la dernière décennie, elle est souvent incomprise: il n'est pas question de faire disparaître les religions dans un espace laïque.

La loi de séparation des Églises et de l'État, qui date de 1905, a entériné le principe de laïcité en France. Cette loi n'a toutefois pas pour but de chasser le religieux hors de France, mais plutôt de garantir la libre pratique d'un culte, et de placer l'État hors de l'influence de l'Église.

«Il y a eu séparation de l'Église et de l'État avec les lois de 1905 et 1907, mais le catholicisme n'a jamais été soluble dans la laïcité. Il y a eu des luttes politiques, et on est arrivés à un modèle de vivre ensemble. Une religion, de mon point de vue, n'est pas soluble dans la laïcité. Pas plus que le catholicisme, l'islam n'est pas soluble dans la laïcité.»

D'abord offert uniquement à la Catho de Paris, le diplôme universitaire a été adopté, au fil des années, par cinq autres universités en région (Strasbourg, Lyon, Aix-en-Provence, Montpellier, Bordeaux).

De nouvelles universités pourraient emboîter le pas. Selon l'agence de presse Reuters, le gouvernement français souhaite encourager la création de formations civiques d'un an, pour limiter les interventions étrangères dans la formation des responsables religieux.

En région

En effet, la majorité des 1800 imams recensés en France viennent de l'étranger, détachés majoritairement par l'Algérie, la Turquie ou le Maroc. Il existe en France des centres de formation d'imams depuis quelques années, notamment à la Grande Mosquée de Paris, mais ceux-ci restent très minoritaires. Du côté des aumôniers, de nombreux civils oeuvrant dans les hôpitaux ou les prisons ont une compréhension de la religion pas toujours compatible avec les valeurs françaises et le fonctionnement des institutions publiques.

Être titulaire d'un diplôme offert dans ce cadre pourrait aussi être une condition sine qua non pour être recruté comme aumônier dans les prisons ou dans les hôpitaux.

«Les deux ou trois premières années, on a été seuls. C'est bien qu'en région, il y ait des diplômes universitaires aussi. On fait un effort qui commence à porter ses fruits», croit le philosophe Claude Roëls, directeur du diplôme universitaire de l'ICP et enseignant à l'Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris.

* Le prénom a été modifié à la demande de l'étudiante, qui sera amenée à travailler dans des milieux «sensibles».

L'imam qui promeut la laïcité

Mohamed Benakila est imam et aumônier dans cinq hôpitaux du nord-est de Paris. Pour lui, la laïcité n'est pas un concept abstrait. Appelé chaque jour au chevet de croyants, ce diplômé de la première promotion à décrocher le diplôme universitaire Religions, laïcité, interculturalité, il raconte son quotidien, et les accommodements qu'il trouve.

Un homme est en état de mort cérébrale. Sa femme et sa fille refusent de le laisser partir, contre l'avis des médecins, qui sont tenus, eux, par la loi française, d'éviter l'acharnement thérapeutique. Que faire? Cet exemple, Mohamed Benakila le donne quand on lui demande comment, au jour le jour, la foi des uns est confrontée aux règles des autres.

«On a prié, et je leur ai expliqué qu'il n'y a pas de contradiction entre la science [et la foi]», explique-t-il. L'imam a toutefois dû convaincre la famille, qui avait une interprétation très stricte de la religion, que la loi française devait être appliquée.

Laïc

Mohamed Benakila était commerçant et diplômé en économie avant d'être imam. Formé à la Grande Mosquée de Paris, il est l'un des diplômés de la première promotion à recevoir le diplôme universitaire Religions, laïcité, interculturalité offert par l'Institut catholique de Paris. Son mémoire portait sur le discours de l'imam dans un espace laïque et républicain.

Dans les établissements publics français, les besoins en aumôniers musulmans sont certains. Cela se vérifie tant dans les hôpitaux que dans les prisons. Et, dit-il, quand il est arrivé dans les hôpitaux, il a «fait le ménage».

«Il y a des gens qui font du prosélytisme. Il faut qu'ils soient cadrés. Il faut des formations pour les bénévoles, pour comprendre comment parler aux médecins, aux infirmières. Notre rôle, comme aumônier, va être de les conseiller et de les éclairer», explique-t-il.

Ainsi Mohamed Benakila a déjà pris position contre les salles de prière dans un hôpital où il exerce. «Je suis contre une salle de prière dans un espace laïque», dit-il. C'est que l'imam, originaire d'Algérie, est très attaché à la laïcité.

Il poursuit: «Le problème, dans une salle de prière pour les musulmans, c'est qu'il y a cinq prières par jour, le Coran, les tapis pour les femmes... Il y a eu des débats, un imam de l'extérieur est venu faire un prêche. Oui, il y a des chapelles dans les hôpitaux, mais on ne peut pas se comparer. À partir du moment où en France, on est contre le communautarisme, ma position est qu'un espace de prière doit rester neutre.»

Accommodements

En fait, Mohamed Benakila suggère à de nombreux patients une sorte d'accommodement raisonnable: Décaler les prières quand on est malade, prier de son lit, etc.

«Vous savez, il y a deux écoles chez les musulmans. Ceux qui ont la foi et la raison. Et ceux qui sont pour le texte répétitif. On prend tout ce que les anciens disent de façon littéraire. Et pourtant, dans le Coran, c'est dit, il n'y a nulle contrainte dans la religion», dit-il, avant d'ajouter, rieur: «On est en 2015, pas 14 siècles en arrière!», dit-il, rieur.

Aussi Mohamed Benakila doit-il combattre fréquemment des idées véhiculées jusqu'en France par des musulmans qui consultent des cheikhs en Arabie saoudite, au téléphone, et leur demandent des fatwas. Une porte d'entrée à des idées rigoristes tout à fait incompatibles avec la réalité française.

«Un jeune a un problème théologique, il va poser la question à quelqu'un en Arabie saoudite. Mais [les cheikhs] qui viennent en France vont dans des palaces, ils ne connaissent pas la réalité des banlieues, ni la France, ni la police ici... dit-il. La religion existe depuis des siècles, mais l'époque du Prophète, ce n'est pas notre époque.»

Le besoin d'aumôniers musulmans se fait particulièrement sentir dans les prisons, où le gangstérisme religieux a le vent en poupe, selon lui.

«Il y a un monde musulman, mais il y a des classes sociales, et de la manipulation. C'est un problème de misère humaine, et un problème mondial», estime M. Benakila.

Chose certaine, la laïcité est selon lui une chance pour l'islam et les musulmans. «Ça donne une liberté de sortir de soi. Que vous soyez sunnite ou chiite, vous pouvez travailler ici. C'est une chance», dit-il.