Deux semaines après l'annulation du référendum catalan, le bras de fer entre le gouvernement de Madrid et les indépendantistes catalans n'est pas terminé. Une nouvelle décision du Tribunal constitutionnel espagnol, rendue hier, a eu pour effet de suspendre la tenue d'un «vote symbolique» sur l'indépendance. Le président catalan, Artur Mas, a néanmoins soutenu que les siens seraient appelés aux urnes dimanche. Cinq questions pour mieux comprendre.

1. Que dit la décision du Tribunal constitutionnel rendue hier?

«Les arguments sont les mêmes que lors de la décision sur la tenue d'un référendum [le 29 septembre]: selon la Constitution, le gouvernement catalan n'a pas le droit de tenir un vote sur l'indépendance. La cour dit que tous les Espagnols doivent prendre part à une telle décision. La cour estime que la consultation prévue n'est pas conforme aux normes démocratiques», explique Antonio Roldán Monés, expert de l'Espagne et du Portugal à l'Eurasia Group. Hier, le Tribunal constitutionnel a accepté de se pencher sur le fond de la question dans quelques mois, ce qui, du coup, entraîne une suspension du vote qui doit avoir lieu dimanche.

Alain-G. Gagnon, politologue à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), remet en cause l'impartialité du Tribunal constitutionnel. «Il y a une véritable tentative d'intimider les électeurs catalans. La cour ne fait que passer les commandes du gouvernement central de Madrid. Elle ne joue pas le rôle d'un arbitre», note-t-il.

2. Le gouvernement catalan affirme qu'un «vote symbolique» sur l'indépendance aura toujours lieu dimanche. Est-ce probable?

«Oui, mais ça n'aura pas du tout la portée d'un référendum», dit M. Roldán Monés. Ce vote n'est pas organisé par le gouvernement, mais par deux grandes organisations indépendantistes, l'Assemblée nationale catalane et l'Òmnium cultural. Des bénévoles se chargeront de faire voter les gens. «Des tables vont être installées dans la rue et il est possible que 1 million de personnes votent. Ce sera l'équivalent d'une grande manifestation», estime l'expert d'Eurasia Group.

3. Un vote de ce genre a-t-il une quelconque légitimité?

«C'est d'abord et avant tout une démarche politique», affirme Stéphane Beaulac, professeur de droit à l'Université de Montréal. Il note qu'il n'y aura pas de contrôle étatique lors du vote de dimanche et qu'il n'y a pas de liste électorale basée sur un recensement sérieux. «Quelqu'un du Pays basque pourrait venir voter», ironise M. Beaulac. Selon lui, le vote n'aura aucune portée légale, ni sur le plan national ni sur le plan international. Beaucoup croient que le résultat du vote sera fortement biaisé en faveur des indépendantistes, puisqu'une grande partie de la population risque de boycotter le processus. Alain-G. Gagnon, politologue à l'UQAM, croit pour sa part que si le taux de participation au vote est significatif, le scrutin pourrait avoir un poids moral. La population catalane a démontré à plusieurs reprises qu'elle désire plus d'autonomie. Ce vote symbolique pourrait confirmer son désir.

4. Devant toutes les embûches que Madrid a mises sur la route des Catalans, une déclaration unilatérale d'indépendance de la Catalogne est-elle possible?

Cette option est notamment proposée par l'Esquerra Republicana de Catalunya, le parti indépendantiste de gauche de la Catalogne. Ce parti, malgré un large soutien populaire, n'est pas au pouvoir en Catalogne. «C'est certain que les gestes posés par Madrid radicalisent les positions, dit Alain-G. Gagnon, qui s'intéresse de près aux processus d'autodétermination des peuples. Une déclaration unilatérale d'indépendance me semble impossible pour le moment. On n'est pas rendu là.»

5. Peut-on dire que le gouvernement espagnol a gagné son combat contre les indépendantistes en fermant toutes les portes à une véritable consultation?

«C'est là la question cruciale!, s'exclame Antonio Roldán Monés. En général, on ne peut pas dire que les décisions de Madrid ont fait faiblir l'option indépendantiste. Depuis que le Tribunal constitutionnel a tranché contre un nouveau statut d'autonomie pour la Catalogne en 2010, le soutien pour l'indépendance est passé de 15 à 50% en Catalogne.» La partie est donc loin d'être jouée.

Selon M. Roldán Monés, il serait très surprenant que l'actuel premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, fasse la moindre concession à une Catalogne qui demande plus de pouvoirs, mais l'Espagne retournera aux urnes l'automne prochain et pourrait élire un parti plus ouvert à la dévolution des pouvoirs.