Luke Skipper ne dort pas beaucoup ces jours-ci. À quelques jours du référendum pour l'indépendance de l'Écosse, qui aura lieu le 18 septembre, ce membre du Parti nationaliste écossais (le SNP) multiplie les allers-retours entre Londres et Édimbourg afin de promouvoir la campagne du «Yes».

Cela semblerait tout à fait normal si Luke Skipper était Écossais. Seulement voilà: celui qui occupe les fonctions de «chef de cabinet» (chief of staff) pour le SNP au Parlement britannique est un authentique Canadien anglais, natif de Kincardine, en Ontario.

Comment s'est-il retrouvé au coeur de la bataille référendaire écossaise? Mélange d'intérêt personnel et de conjoncture, explique l'homme de 33 ans, qui se décrit par ailleurs comme un grand fan de la «Sainte-flanelle».

«Comme 4,5 millions de Canadiens, j'ai du sang écossais, souligne M. Skipper, rejoint dans son bureau à Westminster. Et puis, mon beau-père est Écossais. J'ai grandi avec cette sensibilité. À ma troisième année d'université à Queens, on m'a proposé un an d'étude à Édimbourg. J'ai tout de suite adoré le pays.»

Sa conversion politique n'a pas eu lieu tout de suite, explique-t-il. Mais au milieu des années 2000, après avoir obtenu un stage au Parlement écossais, puis un emploi au sein du SNP à Bruxelles, Luke Skipper a commencé à comprendre les motivations des indépendantistes écossais.

«Le Parlement européen a été formateur pour moi, dit-il. J'ai vu des nations de taille et de population similaires à l'Écosse, capables de défendre les intérêts de leur pays beaucoup mieux que l'Écosse en faisant partie du Royaume-Uni. Je trouvais étrange que l'Écosse ne puisse pas faire la même chose, d'autant que d'un point de vue économique, il semble évident qu'elle peut se tenir sur ses deux pieds. Ça a été pour moi un tournant.»

Des différences

Un Canadien qui s'implique dans un projet souverainiste? Difficile de ne pas y voir de l'ironie...

Luke Skipper s'attendait à ce qu'on soulève le paradoxe. Sauf que pour lui, il y a peu de ressemblances entre les référendums écossais et québécois.

«J'hésite à faire des parallèles, dit-il. C'est un cadre législatif très différent. Il y a eu ici l'accord d'Édimbourg entre les deux gouvernements, pour que soit respectée l'issue du vote quelle qu'elle soit. Notre question est aussi très succincte («Voulez-vous que l'Écosse devienne un pays indépendant?») et elle a été créée par les deux côtés. Cela est en partie attribuable aux différences sur le plan constitutionnel. Contrairement au Canada, qui est une fédération, le Royaume-Uni est une union politique sans constitution.»

L'autre grosse différence, ajoute M. Skipper, se trouve dans l'idéologie du Parti nationaliste écossais qui, contrairement au PQ de la Charte et du vote ethnique, évite soigneusement d'exploiter la fibre identitaire.

«Les Écossais ne se sentent pas menacés dans leur identité, souligne prudemment le Canadien. Le SNP embrasse l'immigration et obtient d'ailleurs un grand nombre d'appuis dans les communautés culturelles. Le fait que je sois canadien et que mon chef recherchiste soit un Australien d'origine libanaise montre que le débat a atteint ici une certaine maturité et que la porte de notre parti est ouverte même à ceux qui ne sont pas Écossais.»

«Évidemment, on ne peut ignorer l'histoire et les grands marqueurs culturels. L'Écosse n'en manque pas. Mais parler du passé n'est pas une priorité pour nous, quand il y a tellement d'enjeux ici et maintenant. C'est ce qui persuade les gens: une vision optimiste de l'avenir. Comme a dit Bashir Ahmad, qui fut le premier membre du Parlement écossais originaire d'Asie: ce qui compte n'est pas tant d'où l'on vient mais où l'on va ensemble, en tant que nation.»

En manque de hockey

Luke Skipper a manifestement épousé la cause. À tel point que, perd ou gagne le référendum, celui qui se dit désormais Écossais de coeur (il vit avec une Écossaise) n'a pas l'intention de revenir au Canada.

«L'Écosse est définitivement devenue ma maison, dit-il. J'ai passé une partie de ma carrière ici, j'y ai beaucoup d'amis. De toute façon, avec la globalisation, on n'est jamais très loin maintenant.»

Y a-t-il quelque chose qui lui manque du Canada? «Le hockey, man!», répond cet indéfectible partisan du Canadien, dont le père, artiste-peintre, a vécu à Montréal dans les années 70.

«C'est un cauchemar de regarder les matchs d'ici, à cause du décalage horaire. Quand j'étais à Tampa, il y a quelques mois, j'ai réussi à aller voir une partie des Habs. Ça m'a rappelé à quel point je m'ennuyais de ça...»