Pendant que la France basculait à droite, Paris résistait et restait fidèle à la gauche. Le nouveau maire de Paris est donc socialiste... et femme. La Presse a passé la soirée au quartier général d'Anne Hidalgo, élue hier maire de Paris.

Pour la première fois de son histoire, Paris a une femme au poste de maire, Anne Hidalgo.

20 h 45 : des cris de joie ont fusé au quartier général de la socialiste Anne Hidalgo lorsque la télévision a annoncé qu'elle avait remporté la mairie de Paris, battant largement son adversaire de droite, la flamboyante Nathalie Kosciusco-Morizet (NKM).

Le codirecteur de la campagne d'Hidalgo, Jean-Louis Missika, flottait sur un nuage. Fébrile, il souriait à pleines dents. Entouré par des journalistes, il triomphait.

« C'est une victoire éclatante dans un contexte dramatique pour la gauche, a-t-il dit. La défaite de NKM est d'autant plus spectaculaire. »

Les résultats étaient en effet catastrophiques pour la gauche dans le reste de la France, où les électeurs ont donné une raclée aux socialistes. En France, les partis municipaux n'existent pas. Ce sont les partis nationaux - socialiste (gauche), UMP (droite), Front national (extrême droite), etc. - qui se battent sur la scène municipale. Le gouvernement de gauche de François Hollande a atteint des records d'impopularité. Hier, les électeurs ont manifesté leur mécontentement en battant les socialistes à plate couture. L'UMP et le Front national ont récolté le fruit de cette grogne. Plusieurs villes ont basculé à droite.

Au milieu de ce « contexte dramatique pour la gauche », une ville a résisté : Paris.

Pourtant, au premier tour (23 mars), NKM avait devancé Hidalgo d'un point. Mais au lendemain de ces résultats, Hidalgo s'est alliée aux Verts, qui avaient récolté 9 % des voix. Avec cette alliance, elle devenait pratiquement imbattable.

« Hidalgo a su rassembler la gauche, a dit Missika. Elle a résisté au raz-de-marée de la droite. »

« Comment a réagi Mme Hidalgo quand elle a su qu'elle gagnait ? », a demandé un journaliste.

Missika a souri. « Elle était contente. Elle est en campagne depuis septembre 2012, c'est-à-dire depuis un an et demi, et elle a affronté un adversaire extrêmement retors. »

Avant de tourner les talons, il a lancé cette dernière phrase, sourire en coin. « La gauche française pourrait regarder ce que fait la gauche parisienne et s'en inspirer. » Une taloche à peine déguisée au président François Hollande.

Anne Hidalgo, elle, s'est fait attendre. Elle est arrivée à 22 h 30 dans la petite salle de son quartier général, où les journalistes se pilaient sur les pieds. Elle était habillée sobrement : chemise blanche, pantalons et veston noirs.

« Ce soir, a-t-elle dit, Paris a gagné. C'est la victoire d'une gauche fidèle à son idéal. [...] Je suis la première femme maire de Paris et j'ai conscience du défi. Je serai la maire qui ne triche jamais. »

Un discours court, sans fioritures, où elle a pris acte de son élection. Elle n'a répondu à aucune question. Elle a tourné les talons et elle est partie à l'hôtel de ville, où elle régnera pendant six ans.

La soirée avait commencé tout doucement.

Sept plateaux de télévision squattaient le trottoir en face du quartier général d'Anne Hidalgo, situé dans le 4e arrondissement, tout près de la Bastille. Devant la porte, une quinzaine de journalistes, caméra à l'épaule, attendaient patiemment qu'un membre de l'équipe d'Hidalgo apparaisse pour lui arracher une déclaration. À l'intérieur, les journalistes de la presse écrite étaient assis en rond devant une télévision, calepin en main. Ils prenaient des notes au fur et à mesure que les résultats tombaient.

À la télévision, Marine Le Pen, chef du Front national, était déchaînée. Elle affirmait que les socialistes et l'UMP étaient identiques et partageaient les mêmes idées : pour l'Union européenne, pour l'euro, pour les politiques d'austérité et les frontières ouvertes, tout ce que son parti exècre. Le ton était dur, tranchant.

Marine Le Pen avait de quoi pavoiser. Le FN a réussi le meilleur score de son histoire dans une élection locale.

Puis les résultats ont déferlé : une hécatombe pour la gauche, un raz-de-marée pour la droite. Un grand frisson d'inquiétude a parcouru l'équipe d'Anne Hidalgo, qui a craint, l'espace d'un instant, que Paris bascule à droite. Un silence inquiet régnait dans le quartier général, brisé par des cris de joie quand l'élection d'Hidalgo a été annoncée.

La victoire d'Hidalgo est éclatante. Elle devance Nathalie Kosciusco-Morizet de plusieurs points. Au conseil municipal, elle contrôlera 93 des 163 sièges. L'UMP détiendra le reste, soit 70 sièges.

Compliquées, les élections à Paris. La ville est découpée en arrondissements comme à Montréal, mais les similitudes s'arrêtent là. L'élection du maire se fait au suffrage indirect. Ce sont les 163 conseillers de la ville centre qui éliront le maire le 5 avril, d'où l'importance de remporter les arrondissements les plus peuplés, ceux qui envoient le plus d'élus au conseil municipal.

Les socialistes contrôlent les plus gros arrondissements, ce qui leur donne une longueur d'avance sur la droite.

Paris vote à gauche depuis 2001. Le maire socialiste Bertrand Delanoë a dirigé la ville pendant 13 ans. Il s'est effacé au profit de sa dauphine, Anne Hidalgo.