Sergueï Magnitski, juriste russe d'un fonds occidental, a été reconnu coupable d'évasion fiscale jeudi par un tribunal de Moscou malgré sa mort il y a près de quatre ans, une affaire à l'origine de vives tensions entre Moscou et Washington.

Le patron britannique du fonds Hermitage Capital, William Browder, a été reconnu coupable des mêmes faits d'«évasion fiscale à grande échelle en bande organisée» par le tribunal Tverskoï, qui l'a condamné par contumace à neuf ans de camp à régime ordinaire, conformément aux réquisitions de la poursuite.

De nombreux journalistes étaient présents dans la petite salle du tribunal dont la cage en métal des prévenus était symboliquement vide, Magnitski étant décédé en prison en novembre 2009, et Browder refusant de revenir en Russie depuis le début de cette affaire controversée.

Une personne décédée peut être jugée en Russie depuis la décision en 2011 de la Cour suprême qui a précisé que la famille devait en faire la demande en vue d'une réhabilitation, ce qui n'a pas été le cas dans l'affaire Magnitski. Les proches du juriste ont boycotté ce procès entamé en janvier.

«Le jugement d'aujourd'hui va entrer dans l'histoire comme l'une des plus grandes hontes pour la Russie depuis l'ère de Joseph Staline», l'ex-dictateur soviétique, a déclaré M. Browder dans un communiqué.

William Browder mène une campagne pour que les responsables impliqués dans le décès du juriste de 37 ans, battu et privé intentionnellement de soins en prison selon une expertise sans effet juridique, soient traduits en justice.

«Le désespoir derrière cette décision montre jusqu'où Poutine est prêt à aller et à riposter contre toute personne qui dénonce le vol et la corruption du régime», a-t-il ajouté.

La présidente lituanienne, Dalia Grybaukaite, qui a pris en juillet la présidence tournante de l'Union européenne, a vivement critiqué ce jugement.

«Le fait même qu'il y ait une condamnation nous préoccupe et constitue un acte symbolique montrant le niveau de violation des droits de l'homme et la détérioration de la situation des droits de l'homme en Russie», a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse à Vilnius, au côté du président allemand, Joachim Gauck.

Celui-ci a déclaré que ce procès était «une nouvelle indication que les Européens avaient toutes les raisons d'intensifier une discussion avec la Russie sur l'État de droit».

Sergueï Magnitski, juriste devenu un symbole de la lutte contre la corruption endémique en Russie, avait été arrêté en 2008 après avoir dénoncé une vaste machination financière de 5,4 milliards de roubles (environ 176 millions de dollars) ourdie, selon lui, par des responsables de la police et du fisc au détriment de son employeur ainsi que de l'État russe.

M. Magnitski avait été inculpé d'évasion fiscale, de même que M. Browder, par les mêmes responsables qu'ils dénonçaient, selon Hermitage Capital.

La Russie a délivré un mandat d'arrêt contre M. Browder et réclamé son extradition, mais Interpol a refusé de valider cette demande, estimant que ce dossier était «principalement de nature politique».

L'affaire Magnitski a provoqué un scandale dans les relations entre Moscou et Washington. Les autorités américaines ont promulgué en décembre dernier une loi interdisant l'entrée aux États-Unis de responsables russes impliqués dans la mort du juriste, ou dans d'autres violations des droits de l'homme.

La Russie a riposté le même mois par l'adoption d'une loi qui prévoit notamment de dresser une liste d'Américains et autres citoyens étrangers indésirables en Russie, et a aussi interdit l'adoption d'enfants russes par des Américains.