La police turque a fait usage de gaz lacrymogène et de canons à eau samedi soir pour disperser plusieurs milliers de personnes qui se rendaient sur la place Taksim d'Istanbul, le bastion de la fronde contre le gouvernement, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Réunis à l'appel du collectif Solidarité Taksim, à l'origine de la contestation, les manifestants se sont heurtés à l'imposant dispositif de la police antiémeute qui leur barrait les accès à la place, avant de se disperser sur la grande avenue piétonne Istiklal et dans toutes les rues environnantes.

Equipées de boucliers et de masques à gaz, les forces de l'ordre se sont ensuite déployées autour de la place et ont empêché pendant plusieurs heures le retour des contestataires, maintenus à distance par des jets sporadiques de grenades de gaz lacrymogène.

Les policiers se sont repliés un peu avant minuit (21h GMT, 17h au Québec) et ont rendu la place et les rues alentours aux touristes et aux riverains.

La police a interpellé plusieurs dizaines de personnes, selon les médias turcs. Parmi elles eux, deux hommes accusés d'avoir attaqué à l'arme blanche des manifestants, a indiqué le gouverneur d'Istanbul Huseyin Avni Mutlu sur son compte Twitter.

Le collectif Solidarité Taksim avait appelé à manifester pour réinvestir le parc Gezi, dont la destruction annoncée a lancé la contestation le 31 mai dernier.

Un tribunal administratif d'Istanbul a annulé début juin le projet d'aménagement de la place Taksim, et la suppression du parc Gezi, au motif que la population n'avait pas été consultée et qu'il viole son «identité».

Cette décision, qui n'a été rendue publique que cette semaine, a été saluée comme une victoire par les opposants au projet.

«Nous revenons vers notre parc pour remettre en mains propres, à ceux qui ont interdit son accès à la population, la décision de justice qui annule le projet destiné à retirer son identité au parc Gezi, à le priver de ses usagers et à le bétonner», avait annoncé le collectif dans un communiqué.

Quelques heures avant ces nouveaux incidents, le gouverneur d'Istanbul a mis samedi en garde les manifestants, leur rappelant que les rassemblements sur la place Taksim étaient interdits.

«Nous prévoyons de rouvrir le parc Gezi demain (dimanche) ou au plus tard lundi pour qu'il soit mis à la disposition de tous les citoyens», a déclaré M. Mutlu.

Le 31 mai, la police turque était violemment intervenue pour évacuer quelques centaines de militants écologistes du parc Gezi qui s'opposaient à l'arrachage de ses 600 arbres dans le cadre du projet d'aménagement de Taksim.

Ce projet, défendu par le premier ministre et ancien maire d'Istanbul Recep Tayyip Erdogan, prévoit la reconstruction d'une ancienne caserne ottomane à la place du parc et le creusement de tunnels, aujourd'hui presque achevés, pour rendre la place aux piétons.

La violence de cette intervention avait suscité la colère de nombreux Turcs et transformé le mouvement de défense du parc Gezi en vaste fronde politique contre le gouvernement islamo-conservateur turc, arrivé au pouvoir en 2002.

Selon des évaluations de la police, quelque 2,5 millions de personnes sont descendues dans la rue dans près de 80 villes pendant trois semaines pour exiger la démission de M. Erdogan, accusé de dérive autoritaire et de vouloir «islamiser» la société turque.

Le parc Gezi a été occupé pendant plus de deux semaines par des milliers de manifestants, qui en ont été délogés manu militari par la police le 15 juin.

Ces manifestations ont fait quatre morts -trois contestataires et un policier- et près de 8000 blessés, selon le dernier bilan de l'Association des médecins.