Le gouvernement turc a menacé lundi de recourir à l'armée pour éteindre les derniers feux de la contestation contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui n'a reçu qu'un modeste soutien des deux puissants syndicats descendus dans la rue pour la soutenir.

Au lendemain de la démonstration de force du premier ministre devant plus de 100 000 partisans, son vice-premier ministre Bülent Arinç a encore durci le ton contre les manifestants en agitant, pour la première fois, le spectre d'un recours aux forces armées pour mater les irréductibles.

La police «usera de tous les moyens qui lui sont conférés par la loi», a déclaré M. Arinç. «Si cela ne suffit pas, même les forces armées turques peuvent être utilisées dans les villes sous l'autorité des gouverneurs» de régions, a-t-il averti.

Gardienne autoproclamée de la Turquie laïque, l'armée turque est longtemps intervenue dans la vie politique, notamment par des coups d'État. Mais M. Erdogan est parvenu à la mettre au pas à coups de purges et de procès qui ont décimé sa hiérarchie.

La mise en garde du gouvernement est tombée alors que la Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires (DISK) et de la Confédération syndicale des salariés du secteur public (KESK) ont décrété une grève générale pour soutenir la contestation, en difficulté depuis la chute de son bastion du parc Gezi d'Istanbul samedi.

Mais, bien loin des épaisses cohortes mobilisées le 5 juin, ces deux organisations classées à gauche n'ont réussi à mobiliser que quelques milliers de personnes à Istanbul, Ankara ou Izmir.

«Sortir dans la rue, c'est déjà une avancée», a déclaré à l'AFP Kerem, chercheur en sciences physiques, dans un maigre cortège stambouliote. «C'est la première fois qu'en Turquie les gens descendent dans la rue sans organisation politique», a-t-il noté.

À Istanbul, les manifestants ont soigneusement évité toute confrontation avec la police qui barrait les accès à la place Taksim et ont replié leurs banderoles sans incident.

Après leur dispersion, de brèves échauffourées ont opposé un groupe de 300 jeunes, appartenant à des organisations d'extrême gauche, aux forces de l'ordre, qui ont usé de canons à eau, de grenades lacrymogènes et de balles en plastique.

Pressé d'en finir avec la pire fronde qu'il essuie depuis son arrivée au pouvoir en 2002, le gouvernement turc a menacé de réprimer les défilés syndicaux lundi.

Vague d'interpellations

«Il y a une volonté de faire descendre les gens dans la rue par des actions illégales comme un arrêt de travail et une grève», a mis en garde le ministre de l'Intérieur Muammer Güler, «cela ne sera pas autorisé».

Après le coup de force de la police contre les irréductibles du parc Gezi, M. Erdogan a enfoncé le clou en étalant sa force dimanche lors d'un rassemblement géant à Istanbul.

Pendant près de deux heures, le chef du gouvernement a paradé sans retenue devant ses troupes et promis de poursuivre tous les «responsables» de la contestation, même les médecins qui ont soigné les manifestants blessés ou les hôtels de luxe qui les ont accueillis. «Nous connaissons très bien ceux qui ont protégé ceux qui ont coopéré avec des terroristes», a-t-il prévenu.

Signe de la fermeté des autorités, près de 600 manifestants ont été arrêtés dimanche à Istanbul et Ankara, selon les barreaux des deux villes.

Comme celle qui a lancé la contestation dans toute la Turquie le 31 mai, l'intervention de la police dans le parc Gezi samedi soir a fait descendre des dizaines de milliers de personnes dans les rues d'Istanbul, d'Ankara et Izmir (ouest).

Dans les deux premières villes, des affrontements ont opposé jusque tard dans la nuit de dimanche à lundi des groupes de jeunes manifestants à la police.

Le collectif Solidarité Taksim, principale coordination de la contestation, a évoqué des «centaines» de blessés après l'évacuation musclée du parc Gezi, le gouverneur d'Istanbul Huseyin Avni Mutlu a fait état de moins d'une cinquantaine de blessés.

Selon le dernier bilan du syndicat des médecins turcs publié la semaine dernière, quatre personnes sont mortes et près de 7500 autres ont été blessées depuis le 31 mai.

Les brutalités policières et l'intransigeance de M. Erdogan lui ont valu de nombreuses critiques et ont terni son image en Turquie comme à l'étranger, notamment aux États-Unis et en Europe.

Lundi, la chancelière allemande Angela Merkel a jugé «beaucoup trop dure» la répression des manifestations turques. «Ce qui se passe actuellement en Turquie ne correspond pas, selon moi, à notre conception de la liberté de manifestation et d'expression des opinions», a-t-elle jugé.