Il a fait exécuter des millions de ses concitoyens, pour la plupart totalement innocents. Et pourtant, l'héritage du dictateur soviétique Joseph Staline demeure contesté en Russie. Une carte virtuelle permet désormais aux Moscovites de constater l'ampleur des crimes staliniens commis jusqu'à la porte de leur édifice.

Ça se passait généralement de nuit. Les agents du NKVD, police politique soviétique, entraient dans un immeuble paisible, cognaient violemment à la porte d'un appartement et repartaient avec l'un de ses occupants, sans expliquer les motifs de l'arrestation. Quelques mois plus tard, celui-ci était reconnu coupable, fusillé et enterré dans une fosse commune.

De 1936 à 1938, au plus fort des purges du Parti communiste, plus de 700 000 «éléments antisoviétiques et socialement dangereux», pour la plupart des membres déchus du parti unique, ont été assassinés par les autorités. Paranoïaque, Joseph Staline avait décidé d'éliminer ses concurrents, réels ou imaginaires.

À Moscou, coeur du pouvoir politique, aucune rue n'a été épargnée par les purges. C'est ce que permet de constater une carte Google, récemment conçue par un étudiant russe en relations internationales. Cette représentation virtuelle reprend les données du registre des victimes de la Grande Terreur, minutieusement recensées par la réputé organisation Mémorial à partir de la fin des années 80, pour en faire une marée de points rouges sur la carte de la capitale russe. «Elle permet de toucher directement les gens», explique Ian Ratchinski, historien chez Mémorial, à l'origine du registre. «Ils peuvent ainsi comprendre que ces milliers de victimes avaient un nom.» Et une adresse.

Par exemple, si l'auteur de ces lignes avait habité un immeuble de la ruelle Ananevski durant les purges, il aurait vu disparaître 12 de ses voisins. Dans cet édifice ordinaire de cinq étages, tout a commencé avec l'arrestation, en mars 1937, d'Aleksander Chour-Petrov, étudiant en aviation de 25 ans, accusé d'appartenance à une «organisation trotskiste antisoviétique». Le dernier à «s'évaporer» fut Viktor Naneïchvili, 61 ans, Géorgien d'origine, directeur d'une usine alimentaire et membre en règle du Parti bolchévique. Il a été fusillé pour avoir soi-disant aidé des cadres d'une présumée organisation contre-révolutionnaire.

Jour des victimes

Le 29 octobre dernier, la veille du jour des victimes de répression politique, quelques centaines de personnes se sont réunies devant le siège de l'ex-KGB, place Loubianka, où étaient interrogés et torturés les détenus. Plusieurs ont attendu des heures dans le froid pour pouvoir lire au micro les noms de quelques victimes. Comme les années précédentes, aucun représentant du pouvoir n'a daigné se présenter à la commémoration, organisée par Mémorial.

Sujet controversé

Neuf jours plus tard, à quelques coins de rues de là, les communistes célébraient le 95e anniversaire de la révolution bolchévique en brandissant fièrement des portraits de Staline.

La mémoire des crimes du pouvoir soviétique demeure un sujet controversé en Russie. Alors que les plaques commémorant les grandes figures de la dictature du communiste sont toujours vissées à plusieurs immeubles, il n'existe pratiquement aucune inscription du genre en souvenir des victimes du régime.

Depuis son accession au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine n'a jamais catégoriquement condamné les crimes staliniens, pourtant bien documentés. Les livres d'histoire ont même été réécrits afin de souligner le rôle bénéfique de Staline, «l'un des dirigeants les plus efficaces de l'URSS».

C'est pourquoi la timide déclaration du premier ministre Dmitri Medvedev, le 30 octobre, qui a dit que Staline avait commis «un crime grave» en menant une «guerre contre son propre peuple», a été considérée comme une avancée chez les défenseurs de la mémoire.

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Au plus fort des purges, plus de 700 000 personnes «dangereuses» ont été assassinées. Moscou n'a pas été épargné.