L'entourage du président français Nicolas Sarkozy serre les rangs avec les hauts responsables policiers mis en cause dans l'espionnage d'un journaliste du Monde par crainte de les voir révéler ce qu'ils savent des agissements les plus «obscurs» de l'État.

«Le chef de la Division centrale du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squarcini, est le maillon faible. Ils sont conscients qu'il sait beaucoup de choses. Si jamais ils le lâchent, il ne se laissera pas faire», affirme en entrevue à La Presse le journaliste au coeur de l'affaire, Gérard Davet.

M. Squarcini, ainsi que le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, ont été mis en cause publiquement en septembre par Le Monde, qui accusait leurs services d'avoir consulté les relevés téléphoniques de M. Davet. L'objectif, dénonçait le quotidien, était d'identifier une source gouvernementale du journaliste dans une procédure judiciaire embarrassante liée à l'héritière de l'Oréal, Liliane Bettencourt.

Après qu'une plainte formelle à leur encontre eut été déposée, les deux responsables policiers avaient juré publiquement qu'ils n'avaient jamais cherché à espionner un journaliste mais simplement voulu identifier la personne responsable des fuites.

L'ex-secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, présenté comme le responsable de la manoeuvre, avait aussi nié toute tentative de contrevenir à la loi sur la protection des sources.

Documents confidentiels

La juge d'instruction chargée de l'affaire a obtenu depuis deux télécopies classées «confidentiel» transmis en juillet 2010 à la compagnie téléphonique Orange par la DCRI. Leur contenu a été dévoilé vendredi. La première demandait le relevé des appels passés et reçus par M. Davet durant une période de cinq jours en juillet. La seconde, envoyée quelques jours plus tard, demandait le relevé téléphonique d'un haut conseiller au ministère de la Justice, David Sénat, qui a par la suite été discrètement congédié.

«Tous les gens concernés avaient nié en bloc en septembre dernier en disant que ça n'avait jamais existé, qu'il n'y avait pas eu de demande me ciblant. Mais il est clair maintenant qu'ils avaient tous menti», relève le journaliste.

Pas de sanction

Il y a quelques jours, M. Guéant, aujourd'hui ministre de l'Intérieur, a indiqué qu'il était «bien évidemment» hors de question de sanctionner MM Squarcini et Péchenard, «ces grands serviteurs de l'État».

«Bernard Squarcini a tout fait depuis 10 ans en soutien à Nicolas Sarkozy. Il sait tout ce qui s'est passé dans les coins les plus sombres», relève M. Davet pour expliquer l'attitude de M. Guéant.

Le journaliste est convaincu que la décision de le cibler a été prise lors d'une réunion de crise à laquelle assistait le président lui-même. Mais il pense qu'il sera «difficile» pour la juge d'instruction de pousser l'enquête jusqu'à ce niveau.

En septembre, Nicolas Sarkozy avait déclaré qu'il était invraisemblable qu'un journaliste du Monde ait été ciblé. «Je ne l'imagine pas, je ne le crois pas et cela ne servirait à rien puisque tout se sait», avait déclaré le chef d'État, qui n'a pas réagi au cours des derniers jours à la divulgation des télécopies compromettantes.

M. Davet déplore que la confirmation de l'obtention de ses relevés téléphoniques par les services policiers n'ait pas eu d'échos plus importants en France.

La discrétion relative de certains médias à ce sujet témoigne du fait que «beaucoup de journalistes sont inféodés au pouvoir» et ne sont pas du tout pressés de fouiller les dossiers les plus sensibles, juge-t-il.