À 79 ans, Evdokia Matouchkina perd la mémoire. Mais elle n'oubliera jamais le bruit des explosions lors des essais nucléaires effectués pendant 40 ans, sous l'URSS, près de la ville kazakhe de Semeï, avant l'arrêt de ces activités lourdes de conséquences le 29 août 1991.

Assise dans une petite chambre dans une maison de retraite à Semeï, à l'est du Kazakhstan, Mme Matouchkina se rappelle avec émoi de cette époque, durant laquelle 456 essais nucléaires ont été effectués, effrayant les habitants de la ville, qui s'appellait alors Semipalatinsk.

«Je travaillais dans un institut médical, j'enseignais la chimie. Presque tous les jours, la radio annonçait à midi: Maintenant il va y avoir un test d'armes nucléaires. Tout se mettait à trembler. Les fenêtres de ma classe ont été brisées par les ondes de choc de l'une des explosions», raconte-elle.

C'est le 29 août 1949 que la première bombe nucléaire soviétique a explosé, provoquant un grand nuage de fumée et déversant des résidus radioactifs sur les 1,5 million d'habitants de la région.

Après un total de 616 explosions nucléaires, dont des bombes à hydrogène, les autorités kazakhes ont décidé le 29 août 1991 de fermer le site en charge des essais, faisant du Kazakhstan le premier pays à renoncer aux armes nucléaires.

Mais 20 ans après cette fermeture, cette ancienne république soviétique d'Asie centrale subit toujours les conséquences des essais.

La région enregistre le niveau de cancer le plus élevé, indique Kazbek Apsalikov, chef du centre de recherche de Semeï sur la médecine par radiation et l'écologie.

Selon les scientifiques, la multiplication des cancers et des problèmes cardiaques, notamment au sein des populations jeunes, sont liés aux radiations. Ils admettent néanmoins qu'il est difficile de déterminer avec précision combien de personnes ont été affectées par les essais.

«Combien de temps encore vont persister les effets (des radiations), nous ne le savons pas», renchérit Marat Sandibaïev, directeur d'un centre d'oncologie.

Sergueï Loukachenko, directeur de l'Institut pour la sécurité radioactive et l'écologie, ajoute que les niveaux de radiation n'ont pas évolué de manière significative au cours des 20 dernières années.

«Le seul moyen de remédier à la contamination serait d'enlever la couche de terre supérieure et de la stocker dans un endroit sûr», estime-t-il.

Semeï, ainsi renommée en 2007, est située à 150 kilomètres à l'ouest du site des essais.

Avant chaque essai, les militaires soviétiques indiquaient aux habitants qu'ils devaient fermer leurs fenêtres et rester à l'intérieur des bâtiments, racontent des témoins.

Une fois, Souakich Iskakova, 77 ans, n'a pas su résister à la tentation. Le prix a payer a été cher: elle a perdu la vue.

«Lorsque j'ai été aveuglée par l'explosion, mon oncle m'a emmené voir un docteur et il a dit que j'étais la seule responsable d'avoir regardé la lumière de l'explosion», déclare-t-elle.

A partir de 1957, les Soviétiques ont surveillé via un centre spécial l'impact des radiations sur la vie humaine, selon des documents qui ont depuis été rendus publics.

«Le village S. a été contaminé par les radiations en raison de précipitations après un essai nucléaire en 1953», révèle l'un d'eux, datant de 1967. Il y est ajouté que les niveaux de radiation dans le village sont toujours dix fois supérieurs à la norme.

Aujourd'hui, beaucoup regrettent le peu d'intérêt, voire l'oubli, de ces essais et de leurs conséquences, contrairement à l'accident nucléaire de Tchernobyl ou aux bombardements nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki.

«Malheureusement, on ne se rappelle des problèmes provoqués par les essais que lors de ce jour anniversaire», déplore M. Apsalikov.