Bertrand Soyer fume depuis plus de 40 ans et ce ne sont pas quelques photos-chocs posées par ordre du gouvernement sur ses paquets de cigarettes qui risquent de le convaincre d'arrêter.

«Je suis soixante-huitard. J'ai connu la liberté totale jusque dans les années 80, où j'ai vu les premiers signes du retour de l'intolérance et du politically correct. Aujourd'hui, il semble qu'on n'a plus droit de rien faire», fulmine le Parisien de 65 ans, qui savourait une cigarette sur le trottoir, près de la place de la Bastille, lorsque La Presse l'a abordé hier.

M. Soyer a découvert sur un paquet acheté il y a quelques jours l'image d'une seringue contenant une cigarette censée le mettre en garde contre la dépendance au tabac. Avant-hier, il est tombé sur la photo d'un homme souffrant de goitre, un cliché «épouvantable».

«Celle-là est moins choquante», relève-t-il en montrant son paquet du jour, sur lequel on peut voir deux mains sur le point de se rejoindre avec un message appelant les fumeurs à demander de l'aide. «À mon avis, ce n'est pas très efficace», tranche le retraité.

Christiane Diovada, autre fumeuse de longue date croisée à la sortie d'un tabac, ne croit pas non plus à l'utilité de ces images. «Pour les gens qui fument beaucoup, ça ne va rien changer», dit-elle. «De toute manière, elle fume depuis 15 ans. Il n'y a aucune raison qu'elle ne le fasse pas pour une seizième année», lance son compagnon en riant.

L'ex-ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, avait annoncé l'année dernière que la France entendait emboîter le pas à des dizaines de pays, comme le Canada, qui utilisent des photos de ce type pour décourager la consommation de tabac.

Elle avait prévenu que les vendeurs disposeraient d'un an pour écouler leurs anciens stocks. Depuis hier, ils ne peuvent plus commander que des paquets arborant les fameuses photos.

Mal accueillie

L'initiative est mal accueillie par la Confédération des buralistes, qui représente les commerçants autorisés par l'État à vendre des cigarettes. Son président, Pascal Montredon, avait accusé le gouvernement l'année dernière de prendre les Français pour des «imbéciles» en martelant que la cigarette est dangereuse, chose que «tout le monde sait». Le porte-parole a répété il y a quelques jours qu'il ne croyait pas à l'efficacité de la nouvelle mesure.

Vincent Tang, qui gère un tabac au coeur de la capitale française, pense que les photos auront un effet transitoire, sans plus. «Les gens vont reprendre leurs habitudes au bout d'un moment», indique-t-il.

Le professeur Gérard Dubois, qui est président d'honneur de l'Alliance contre le tabac, pense que les photos ont un effet dissuasif réel, quoi qu'en disent les détracteurs du gouvernement. «Le message est direct et c'est un message de vérité. Il donne une image réaliste de la cigarette qui va totalement à l'encontre de l'image glamour que cherche à vendre l'industrie du tabac», souligne-t-il en entrevue.

L'État français, note M. Dubois, a fait le «strict minimum» dans les circonstances en se contentant d'exiger que la photo soit apposée au dos du paquet sur 40% de la surface plutôt que sur les deux côtés. Le porte-parole de l'Alliance contre le tabac pense qu'il faut aller encore plus loin en matière de lutte contre le tabac puisque la consommation demeure relativement stable dans le pays depuis plusieurs années. Environ 33% des adultes français fument, soit un peu plus que la moyenne européenne, établie à 29%.

Le gouvernement a fait chuter radicalement son niveau au début des années 2000 en imposant une substantielle hausse de taxes, mais il n'a pas imposé d'autres hausses de même nature depuis, déplore M. Dubois.

La Confédération des buralistes fait valoir que les augmentations de taxes poussent simplement les consommateurs à acheter leurs cigarettes hors des frontières.

Dans une étude publiée en mars, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies a relevé que nombre de fumeurs avaient déjà développé des «stratégies de contournement» pour s'approvisionner. Selon l'organisation, près de 20% des cigarettes consommées dans le pays l'année dernière provenaient de pays limitrophes, où le coût est sensiblement plus faible.