Censure, soumission au Kremlin, incompétence: les principales chaînes de télévision publiques russes ont suscité mardi l'indignation de la presse écrite et de blogueurs pour leur couverture du double attentat suicide dans le métro de Moscou.

Alors que la première explosion dans le métro, en plein centre ville, a eu lieu à 07H55, et la deuxième 40 minutes après, la nouvelle a été passée sous silence par les chaînes de télévision fédérales jusqu'à neuf heures du matin, malgré les annonces faites par les agences d'information et plusieurs radios.

Les téléspectateurs russes des chaînes diffusées par satellite, comme la chaîne anglophone Russia Today, EuroNews ou la chaîne d'informations Russie-24, ont en revanche été informés presque aussitôt et ont pu suivre les événements en direct.

Mais la majorité écrasante des Russes, fidèles aux trois chaînes fédérales qui couvrent 98% du territoire russe, est restée dans une ignorance totale de la tragédie, plongée dans les émissions matinales sur la santé et la cuisine.

Ce n'est qu'une heure après la première attaque que la chaîne publique Rossia a annoncé les attentats dans un bandeau en bas de l'écran, sans interrompre son émission «Matin de la Russie».

De même pour la Première chaîne qui a consacré quelques minutes au drame à Moscou dans son journal de 09H00. La chaîne NTV, elle, n'a donné l'information qu'à 10H00.

«Le Matin de la Russie s'est déroulé sans attentats», titrait mardi le quotidien Kommersant, faisant allusion à l'émission quotidienne de Rossia, constatant l'absence de modifications dans les programmations des principales chaînes russes.

À l'instar de la presse écrite, les blogs russes fulminent.

«Une fois de plus, les Russes ont dû apprendre ce qui se passait dans leur capitale grâce aux reportages de CNN (chaîne de télévision américaine), alors qu'ils auraient aimé en être informés par les journalistes russes», constate l'internaute Sumlenny.

«Que peut-on reprocher aux chaînes publiques? Elles entrent dans la verticale du pouvoir», considère de son côté l'internaute Object.

Plusieurs experts soulignent que les chaînes ont attendu un ordre du Kremlin pour annoncer la tragédie.

«Le Kremlin n'a pas donné son feu vert pour diffuser les informations sous forme de flash», a estimé Alexandre Arkhangelski, présentateur de la chaîne Koultoura, cité par le site d'informations infox.ru.

Mais pour Anna Katchkaeva, spécialiste des médias, «ce n'est pas le Kremlin qui censure les chaînes, mais elles-mêmes».

Cette «autocensure est instinctive chez ceux qui travaillent à la télévision depuis une dizaine d'années», dit-elle à l'AFP.

«Tous les journalistes ont en mémoire la fin de la chaîne indépendante NTV», passée en 2003 sous le contrôle de l'État après avoir été critiquée par le Kremlin pour sa couverture de la prise d'otages au théâtre de la Doubrovka à Moscou, dans laquelle 130 personnes avaient péri en octobre 2002.

NTV, qui avait transmis en direct des images sur les préparatifs des forces de l'ordre pour donner l'assaut au théâtre et organisé un talk-show avec les parents d'otages, a été blâmée par le président de l'époque, Vladimir Poutine, qui a reproché aux médias de faire de «l'audimat sur le sang».

L'année suivante, le rédacteur en chef du quotidien Izvestia a été licencié pour la couverture d'une autre prise d'otages, à l'école de Beslan (Ossétie du  Nord), qui s'est soldée par la mort de 330 personnes. Son journal avait publié deux pages entières de photos, sans aucun commentaire.

«Les téléspectateurs constituent la masse écrasante des électeurs, contrairement aux auditeurs des radios et aux internautes», résume Mikhaïl Fedotov, ex-ministre de l'Information.