Exaspéré par la corruption, le favoritisme et les conditions de travail difficiles dans la police russe, un simple agent a décidé de tout dénoncer grâce à l'arme la plus puissante qui soit: l'internet. Renvoyé pour «diffamation envers ses collègues», menacé, Alekseï Dymovski rêve maintenant d'une grande enquête nationale pour assainir le système policier.

Le commandant Dymovski en avait assez que ses supérieurs lui demandent de fabriquer des preuves pour élucider des crimes, de protéger leurs amis et de fermer les yeux sur les pots-de-vin qu'ils recevaient. Surtout pour un salaire de misère de 14 000 roubles par mois (500$).

 

Il a donc décidé d'en parler à la seule personne qu'il croit capable de mettre fin à ce «bordel»: Vladimir Poutine. «Peut-être que vous ne savez pas, peut-être que vous le soupçonnez, peut-être que personne ne vous parle de cela, mais je veux que vous sachiez comment nous vivons, nous les simples agents», expliquait M. Dymovski au premier ministre, dans deux vidéo mises en ligne sur son blogue le 6 novembre.

En quelques heures, les clips de l'agent de 32 ans en poste à Novorossiisk, sur la mer Noire, avaient fait le tour du Runet (l'internet russe). Le pays entier a entendu les doléances de l'officier, largement rapportées par les médias, même officiels. Les commentaires d'encouragement fusaient de toutes parts. «Bravo, mais tout le monde le savait déjà; -)», commentait notamment l'utilisatrice de Youtube, Marina3290, en écho à d'autres messages similaires.

Tout le monde, sauf Vladimir Poutine, à en croire Dymovski. Le ton naïf du policier nouvellement chômeur rappelle d'ailleurs celui des prisonniers politiques sous Staline, convaincus que le grand leader du pays ignorait leur présence dans les camps de travaux forcés et que s'ils pouvaient l'en informer, la situation se réglerait.

Vladimir Poutine n'a toujours pas répondu publiquement à l'appel de l'officier qui se dit «prêt à prendre la responsabilité» d'une vaste enquête pour lever le voile sur les réseaux de corruption dans la police.

En conférence de presse à Moscou hier, Alekseï Dymovski laissait toutefois entendre qu'une réunion avec l'homme fort du pays pourrait bien avoir lieu dans les prochains jours.

Depuis sa sortie publique, il dit avoir été suivi et avoir fait l'objet d'intimidation, vraisemblablement de la part d'anciens collègues. L'homme, qui sera père pour la deuxième fois en janvier, dit ne pas avoir peur de mourir «pour que l'honnêteté, la justice et la dignité» soient à nouveau associées à sa profession.

Il s'attend d'ailleurs à voir apparaître des accusations fabriquées contre lui pour le faire taire. «Ils ont un dossier sur chaque policier qu'ils peuvent sortir au besoin», expliquait-il, hier, aux nombreux journalistes venus écouter son histoire. «Mais je suis prêt à faire trois ans de prison s'il le faut».

Alekseï Dymovski promet que des heures encore plus sombres seront vécues par ses supérieurs de Novorossiisk. Durant plusieurs jours, il est allé au travail avec un dictaphone accroché au cou, pour recueillir des preuves contre eux. «J'ai 150 heures d'enregistrement.»

Dymovski assure ne pas être motivé par la vengeance contre des supérieurs qui le faisaient travailler «30 jours sur 31» et l'empêchaient d'aller se faire soigner à l'hôpital. Ce qu'il attend de Vladimir Poutine, c'est «qu'il change la structure». Mais les mentalités aussi devront changer.

Selon un sondage mené par le Centre Levada l'an dernier, plus de la moitié des Russes considèrent «moralement acceptable» de donner (52%) et ou de recevoir (62%) un pot-de-vin.