Ce sera sans doute LE procès du conflit bosniaque (1992-1995), le plus sanglant sur le sol européen depuis la Seconde guerre mondiale. Quatorze ans après les faits, le procès de Radovan Karadzic pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide s'ouvre lundi à La Haye devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), une première journée boycottée par l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie, en geste de défiance.

L'intéressé, poursuivi entre autres pour son rôle dans le massacre de l'enclave de Srebrenica et le siège de Sarajevo, sera absent, car il estime ne pas avoir eu assez de temps pour préparer sa défense, qu'il compte assurer lui-même. Comme avant lui son mentor politique, Slobodan Milosevic, l'ex-président yougoslave, protagoniste central des drames de l'ex-Yougoslavie, mort dans sa cellule onusienne avant d'avoir pu être condamné, en mars 2006.

Pour Munira Subasic, qui a perdu les siens, son mari et son fils, dans le massacre par les forces bosno-serbes de 8.000 musulmans dans l'enclave de Srebrenica, en juillet 2005 à la fin du conflit, le début du procès Karadzic est un soulagement, comme pour nombre de survivants.

«Nous voulons rappeler aux Européens que cela fait 14 ans désormais que nous attendons la justice. Le procès Milosevic a échoué et maintenant, il est temps que justice soit faite», soupire-t-elle.

Pour les observateurs, que l'ancien psychiatre qui se piquait d'être poète, âgé de 64 ans, soit présent ou pas dans la salle d'audience du TPIY ne doit pas occulter l'importance du procès.

«Le procès Karadzic est LE procès pour lequel le TPIY a été mis sur pied», estime Michael Scharf, professeur de droit de la Case Western Reserve University à Cleveland, Ohio.

Il est aussi l'occasion pour le Tribunal de réparer les erreurs du procès Milosevic, sorte de répétition générale ratée et procédurière, qui s'éternisa pendant quatre trop longues années avant la crise cardiaque fatale qui le priva d'inculpé.

Comme Milosevic, Karadzic est poursuivi pour génocide, avec deux chefs d'inculpation: le massacre de Srebrenica et la campagne de nettoyage ethnique contre les populations musulmanes et croates de Bosnie. Il est aussi visé par neuf autres chefs d'inculpation pour les atrocités infligées aux Croates, Musulmans et autres civils non-Serbes, dont extermination, persécutions, prise d'otage de casques bleus.

L'ancien «président» de la Republika Srpska, l'entité serbe de Bosnie dont la capitale était Pale, station de sports d'hiver surplombant Sarajevo, capitale et ville-martyre assiégée pendant 44 mois, se dit innocent. Il risque la perpétuité à l'issue d'un procès dont on s'attend à ce qu'il dure au moins deux ans.

Si Karadzic n'y sera pas, des dizaines de survivants ont eux fait le voyage pour entendre lundi les procureurs entamer l'examen du dossier et expliquer au panel de trois juges comment ils comptent procéder.

Voir le flamboyant Karadzic enfin dans le box des accusés est extrêmement important pour toutes ces victimes, dans l'impossibilité d'oublier les atrocités vécues, souligne le procureur du TPIY, le Belge Serge Brammertz.

Et de se souvenir de cette femme qu'il a rencontrée: elle a perdu 21 membres de sa famille dans la guerre et n'a toujours pas retrouvé tous leurs corps. «Quand vous voyez ce que ces crimes ont fait aux gens, vous comprenez à quel point il est important de traduire en justice leurs auteurs présumés», dit-il.

Le conflit en Bosnie-Herzégovine a fait plus de 100.000 morts. Son principal architecte, l'ancien maître de Pale, devint ensuite pendant 13 ans le plus important fugitif de la planète, recherché mais jamais trouvé et bénéficiant sans doute de moultes complicités. Avant d'être arrêté le 21 juillet 2008, reconnu derrière la barbe foisonnante, la tignasse grisonnante et les épaisses lunettes du Dr Dragan Dabic, spécialiste en médecines douces établi à Belgrade...

Depuis qu'il est redevenu Karadzic, l'ancien homme fort des Serbes de Bosnie a bataillé comme un beau diable pour tenter d'éviter de comparaître. Il a notamment raconté avoir passé un accord en 1996 avec l'émissaire américain Richard Holbrooke, artisan des accords de Dayton qui mirent fin à la guerre, en vertu duquel il acceptait de quitter la vie publique et de disparaître en échange de l'immunité des poursuites.

Pour l'Histoire, et pour libérer les Balkans des fantômes du passé, les procureurs du TPIY auraient voulu pouvoir juger Karadzic en même temps que son âme damnée et bras armé, le général Ratko Mladic, chef militaire des forces bosno-serbes, l'autre responsable principal des horreurs de la guerre en Bosnie. Mais Mladic est toujours en fuite, tout comme un autre responsable présumé de premier plan des conflits gigogne de l'ex-Yougoslavie, le chef des Serbes de Krajina (Croatie), Goran Hadzic. Ce sont là les deux derniers fugitifs manquant à l'appel du TPIY.