Il est le dernier obstacle. Les Irlandais ont fini par voter «oui». À contrecoeur, le président polonais vient de signer. Il n'en reste plus qu'un à s'accrocher au «non» au Traité de Lisbonne, empêchant son entrée en vigueur: l'eurosceptique président tchèque, Vaclav Klaus.

Après avoir attaqué le traité sans relâche, Vaclav Klaus se retrouve dans la position unique de pouvoir le bloquer. Et de pouvoir gagner du temps, jusqu'à ce que des acteurs plus puissants que lui -en l'occurence les conservateurs britanniques-, arrivent au pouvoir à Londres et puissent prendre le relais du combat anti-Lisbonne... S'ils gagnent les élections en Grande-Bretagne à l'été 2010, comme le prédisent tous les sondages, les Tories se sont en effet juré d'organiser un référendum sur le traité s'il n'est pas encore entré en vigueur. Ouvrant ainsi l'option d'un «non» britannique aux conséquences éventuelles inimaginables pour l'Union européenne, allant du blocage au retrait pur et simple de la Grande-Bretagne, un des pays les plus influents et puissants d'Europe.

«Le sort du traité de Lisbonne, texte pour une communauté d'un demi-milliard d'hommes, est entièrement entre les mains du président tchèque. Signera, signera pas? Quelqu'un de prudent ne le parierait pas», écrivait récemment le quotidien tchèque «Lidove Noviny» dans un éditorial.

L'attitude de Vaclav Klaus est cohérente avec la mentalité de ce conservateur hors normes qui adore ramer à contre-courant: il doute haut et fort de la responsabilité de l'homme dans le réchauffement climatique et s'oppose tout aussi vocalement au mariage homosexuel dans ce qui est pourtant l'un des pays les plus libérés d'Europe.

Vendredi, à la veille de la signature polonaise, le maître du Château de Prague a rajouté un nouveau bémol: il a expliqué vouloir voir la République tchèque exemptée de la Charte européenne des droits de l'Homme qui va avec le traité, dérogation du type de celles dont bénéficient déjà la Pologne et la Grande-Bretagne. Et fait savoir au premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, dont le pays assure actuellement la présidence tournante, qu'il voulait rajouter «une note en bas de page de deux phrases (...) au sujet de la charte des droits fondamentaux». «Mauvais message au mauvais moment», a répondu Reinfeldt, furieux, à Klaus, qu'il tentait en vain de joindre depuis une semaine et le «oui» irlandais...

En faisant monter les enchères in extrémis, Klaus a encore compliqué une situation déjà confuse: car c'est en général le Parlement, et non le président, qui peut demander une dérogation à Bruxelles, laquelle doit ensuite être approuvée par les 26 autres en Conseil européen.

Trop tard, jugeait pour sa part le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, déclarant jeudi soir qu'«on ne va pas changer le Traité de Lisbonne»: «Je ne doute pas que le président Klaus va inventer encore beaucoup de difficultés, mais je pense que le peuple tchèque va accepter que ses représentants qui ont voté, qui ont dit «oui» à chaque fois, à ce Traité, sans changer un mot, vont l'influencer suffisamment pour que ce soit fait».

Car comme les deux chambres du Parlement tchèque ont déjà ratifié le traité, cela laisse peu d'espace à Klaus pour manoeuvrer: même si le traité n'est pas validé tant qu'il ne l'aura pas signé, sa présidence est largement protocolaire, avec peu de pouvoirs réels.

Klaus a cepndant gagné du temps lorsque d'un groupe de sénateurs eurosceptiques a déposé un recours devant l'instance constitutionnelle tchèque en vue de la validation des nouvelles modifications rajoutées au traité pour plaire aux Irlandais. La Cour constitutionnelle, déjà saisie l'année dernière, avait une première fois jugé le traité constitutionnel.

«J'attends de la Cour constitutionnelle qu'elle fournisse des réponses convaincantes», affirmait Klaus le mois dernier. «Ce n'est que sur (cette) base que je pourrai envisager d'agir».

Avec la signature samedi de l'acte de ratification du Traité par un autre eurosceptique conservateur, le président polonais Lech Kaczynski, la pression est encore montée d'un cran sur le Tchèque. Fredrik Reinfeldt l'a exhorté à signer. «L'Europe attend cela avec impatience», a-t-il déclaré. «Nous n'avons pas besoin de nouveaux retards». Paris de son côté a dit souhaiter une entrée en vigueur «avant la fin de l'année comme les 27 s'y sont engagés».

Le maître du Château semble rester imperturbable. Selon Ladislav Jakl, son principal conseiller politique, le président, qui déteste qu'on lui force la main et juge les pressions toujours «improductives», ne devrait se décider que quand il y sera obligé, et en fonction de la réaction populaire au jugement de la Cour constitutionnelle.

Les Tchèques eux sont favorables au traité honni par leur président: 53% d'entre eux voteraient «oui» si on leur posait la question par référendum, 44% pensent que Klaus porte atteinte à l'image de son pays en traînant des pieds et 43% veulent qu'il signe tout de suite, selon un sondage de l'agence Sanep, réalisé entre le 1er et le 3 octobre auprès de 4.320 personnes âgées de 18 à 66 ans.

Du côté des pro-traité, on fourbit ses armes, craignant que la résistance du président s'éternise, et qu'il passe outre à un éventuel feu vert de la Cour constitutionnelle. «S'il le rejette, quelqu'un d'autre devra le faire», décrète la présidente adjointe du Sénat, Alena Gajduskova: selon elle, les deux chambres pourraient voter pour priver le président de son droit à approuver le traité, et transférer la signature au premier ministre Jan Fischer.