Moins d'un an s'est écoulé depuis la reconnaissance par la Russie de l'indépendance de l'Abkhazie mais l'euphorie et la gratitude des débuts y donnent des signes de déclin, tandis qu'enfle une controverse sur son assimilation de facto à son puissant voisin.

Les deux dernières semaines ont été riches en accrochages politiques à Soukhoumi, «capitale» de cette minuscule région aux paysages de rêve, de facto indépendante de la Géorgie depuis la guerre de 1992-93, mais dont la souveraineté n'a été reconnue à ce jour que par la Russie et le Nicaragua. Le président Sergueï Bagapch a brusquement annoncé que la gestion de l'aéroport et du chemin de fer, tous deux en piteux état, serait transférée «temporairement» (dix ans) à la Russie, et que la loi interdisant aux non-citoyens abkhazes d'acquérir des biens immobiliers serait prochainement amendée, ce qui favorisera là encore les Russes.

Un accord a également été signé cette semaine, attribuant l'exploitation des futurs gisements pétroliers d'Abkhazie au groupe public russe Rosneft.

Ces événements se déroulent sur fond de déploiement de quelque 1 300 garde-frontières russes à la frontière abkhazo-géorgienne, en vertu d'un accord signé en avril, également valable pour l'Ossétie du Sud, autre territoire séparatiste de Géorgie. Enfin, le premier ministre Vladimir Poutine est attendu à Soukhoumi en juin.

Cette rafale d'annonces a été mal vécue par l'opposition abkhaze, qui a vivement réagi : les décisions du président risquent de «porter atteinte à l'économie du pays et de provoquer une croissance des sentiments antirusses», ont solennellement prévenu plusieurs partis politiques alliés à d'influentes organisations civiles dans une déclaration commune.

Cette politique risque de précipiter le pays dans le piège du «parasitisme», explique à l'AFP Astamour Tanya, co-président du parti d'opposition Forum pour l'unité nationale d'Abkhazie. «Aucun secteur ne va se développer si nous ne le faisons pas nous-mêmes», souligne-t-il.

Les opposants ont concentré leurs attaques sur le président Bagapch, accusé d'avoir outrepassé ses prérogatives en négociant dans le secret l'avenir d'infrastructures stratégiques. Ils ont prudemment évité de s'en prendre à la Russie, perçue comme la protectrice et l'unique alliée d'une Abkhazie par ailleurs totalement isolée.

Le thème des relations avec la Russie est éminemment sensible à Soukhoumi : pour la vaste diaspora abkhaze de Turquie, dont les ancêtres ont été chassés de chez eux au XIXe siècle par la Russie tsariste, elle a longtemps conservé une image d'entité hostile.

La reconnaissance de l'Abkhazie par la Russie le 26 août 2008, dans la foulée de la brève guerre russo-géorgienne a sensiblement changé la donne, sans totalement dissiper la crainte que l'Abkhazie n'échappe à la Géorgie que pour mieux tomber sous l'emprise russe.

Takha, un Abkhaze de 24 ans, s'avoue «inquiet» face aux récents accords, mais dit vouloir croire à l'«amitié» russo-abkhaze. «Il n'y a pas le choix, personne d'autre ne nous aide. Nous sommes de petits poissons, nous devons être malins», philosophe-t-il.

Les autorités abkhazes se défendent pour leur part d'en faire trop pour Moscou : si l'opposition s'agite, c'est parce qu'«elle ne pense qu'à l'élection» présidentielle prévue le 12 décembre, relativise Stanislav Lakoba, secrétaire du conseil de sécurité abkhaze.

La multiplication des accords avec la Russie s'explique selon lui par le début d'une «nouvelle phase» : «avant, il n'était question que de guerre et de blocus. À présent, nous voulons coopérer et prospérer», quitte à en passer par des «compromis», conclut-il.