Le président français Nicolas Sarkozy, qui raffole des caméras et des micros, risque de se retrouver moins souvent au premier plan médiatique sur ordre de la plus haute instance administrative du pays.

Dans une décision rendue la semaine dernière, le Conseil d'État a conclu que le temps de parole médiatique du chef d'État et de ses principaux conseillers devait être comptabilisé en vertu de la loi visant à assurer le «respect du pluralisme» à la radio et à la télévision.

 

Le tribunal, qui avait été saisi du dossier par le Parti socialiste, estime que les interventions médiatiques du président «ne peuvent être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national».

Les membres du tribunal, appelés pour la première fois à statuer formellement sur cette question, ont pris le contre-pied du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui avait refusé, l'automne dernier, de revoir ses façons de faire.

Les dirigeants de l'organisation prétendaient que le président était, de par la nature de sa fonction, au-delà de la mêlée politique et que ses interventions ne pouvaient pas être comptabilisés, un raisonnement vieux de 40 ans.

La loi visant à assurer le pluralisme dans les médias prévoit que le temps d'antenne dévolu à l'opposition doit représenter la moitié du temps réservé au gouvernement et au principal parti au pouvoir. Les médias qui dérogent à la règle sont avisés par lettre de la nécessité de corriger le tir au besoin.

Le rapporteur public, qui est chargé de conseiller le Conseil d'État, avait recommandé il y a quelques semaines d'inclure le temps de parole présidentiel dans le temps gouvernemental en relevant que le chef d'État n'est «pas un arbitre, mais un capitaine».

Bien que la décision ne vise pas spécifiquement Nicolas Sarkozy mais plutôt le poste même de président, le Parti socialiste a accueilli la décision du Conseil d'État comme une victoire politique.

L'ex-premier secrétaire du parti, François Hollande, à l'origine de la plainte, a déploré à plusieurs reprises l'omniprésence médiatique du chef d'État français, soulignant le caractère antidémocratique de la situation.

Les socialistes relèvent que le temps de parole du président représentait 20% du temps de parole des personnalités politiques de juillet 2007 à juillet 2008, alors que son prédécesseur, Jacques Chirac, plafonnait à 7%.

Clouer le bec

Bien qu'il se réjouisse de l'intervention du Conseil d'État, le député socialiste Michel Françaix, qui a participé à la démarche de contestation, doute que le paysage médiatique sera profondément chamboulé.

«Dans les faits, on va peut-être obtenir 15% de ce qu'on devrait obtenir», souligne l'élu, qui critique le manque d'autonomie réel du CSA face au président. Il craint que l'organisation cherche à restreindre la portée de la décision du Conseil d'État en adoptant une définition restrictive pour catégoriser les interventions présidentielles à teneur politique et partisane. Le Conseil d'État n'a pas fixé de règles précises à ce sujet, relevant que le CSA disposait d'un «très large pouvoir d'appréciation».

Le conseiller spécial du président Sarkozy, Henri Guaino, a indiqué au cours de la fin de semaine que la classification des interventions du président risquait d'être ardue. «C'est compliqué de faire le tri car le discours du président est forcément un discours politique par nature», a-t-il souligné.

Certains analystes vont jusqu'à prédire, avec une pointe d'ironie, que les exigences du Conseil d'État pourraient aider le président en l'amenant, contre sa nature, à se faire plus discret.

«Il ne fait pas de doute que l'irrépressible propension de Nicolas Sarkozy à intervenir dans le débat public du matin au soir, en tout et sur tout... son impatience à plaider sa propre cause et à clouer le bec à quiconque conteste ses mérites» a eu pour effet de trivialiser sa fonction et de banaliser ses interventions, souligne le quotidien Le Monde, qui parle même de «logorrhée présidentielle».