Le village de Carbuna, à 30 km au sud de la capitale de la Moldavie, Chisinau, vit plus au rythme des chants de coq et des aboiements de chiens qu'à celui des quelques rares voitures qui y passent.

En ce dimanche après-midi, la plupart des hommes qui ne sont pas partis travailler à l'extérieur du pays sont fortement éméchés.

Comme la plupart de ses voisins, Alexandru Craciun, 24 ans, se rend aussi souvent que possible sur les chantiers de construction de Moscou et d'Odessa (en Ukraine) pour nourrir sa femme, enceinte, et son fils de 5 ans. Mais avec la crise économique qui frappe durement la Russie et l'Ukraine, où se trouvent 60% des quelque 350 000 travailleurs immigrés moldaves qui constituent le quart de la population active du pays, Alexandru n'est plus certain de pouvoir repartir de sitôt.

L'entreprise pour laquelle il a travaillé illégalement d'octobre à novembre sept jours sur sept pendant trois mois n'a plus d'emploi pour lui. Et elle lui doit toujours les deux tiers de son salaire de 4500$. Auparavant, il était toujours payé rubis sur l'ongle.

«Le Moldave qui dirige le chantier a dit que dès que l'entreprise recevrait les ristournes de ses placements à la banque, ils nous verseraient le reste», explique Alexandru, confiant de recevoir un jour le fruit de ses labeurs. Malgré le retard de paiement, il est prêt à repartir à la première promesse d'emploi. «Dans le village, il n'y a rien à faire de toute façon.» Dimanche, Alexandru compte voter communiste. «Ils ont construit des routes et augmenté les chèques de retraite», justifie-t-il.

Son amie Aleona Samateos, 38 ans, hésite toujours, mais donnera probablement elle aussi sa voix aux «rouges». Elle n'est toutefois pas dupe sur la stratégie préélectorale du président sortant, Vladimir Voronine, un homme qu'elle apprécie. «Les prix des produits ont diminué dernièrement, mais après l'élection, c'est certain qu'ils augmenteront de nouveau.» La stratégie peu subtile du Parti des communistes, qui appelle à voter «pour la stabilité», risque malgré tout fort bien de fonctionner. Selon le dernier sondage préélectoral, ils sont crédités de 36,2% des suffrages, contre seulement 8,3% pour les libéraux-démocrates et 8,2% pour le Parti libéral.

La dizaine d'autres partis en lice ne devrait pas atteindre le seuil minimal de 6% des voix pour entrer au parlement, laissant le champ libre à une majorité de sièges pour les communistes, au pouvoir depuis 2001.

Déni

La politique jusqu'au-boutiste de déni de la crise du président Voronine ne pourra toutefois pas durer éternellement. De janvier à mars, la Banque nationale de Moldavie a sacrifié près du tiers de sa réserve en devises pour éviter que sa monnaie, le leu, ne s'effondre par rapport au dollar.

Dans les autres républiques ex-soviétiques à l'économie similaire, les monnaies nationales ont dû être dévaluées d'au moins 20% face au billet vert au cours des derniers mois. Les importations étant trois fois plus importantes que les exportations en Moldavie, une dévaluation donnera un dur coup à la consommation.

La diminution des transferts d'argent par les travailleurs immigrés, précieuse source de devises, risque de faire encore plus mal à son économie fragile. L'an dernier ces transferts représentaient 38% du PIB du pays, faisant de la Moldavie, pays de 4,3 millions d'habitants, le deuxième État de la planète le plus dépendant de ses travailleurs migrants après le Tadjikistan. Et déjà en janvier dernier, ces transferts étaient de 30% inférieurs à ceux de janvier 2008.

«Ce sera une bombe sociale si les travailleurs reviennent tous au pays et ne repartent pas durant le printemps», prévient Ghenadie Cretu, qui observe les phénomènes de migration du travail au bureau de Chisinau de l'Organisation internationale pour les migrations.

Le problème n'est pas que les travailleurs habitués à des salaires plus élevés à l'étranger ne sauront se contenter des 280$ mensuels que touchent en moyenne ceux restés au pays, mais qu'il n'y aura tout simplement pas de travail pour eux en Moldavie. «Ça imposera un fardeau additionnel sur le système de sécurité sociale», souligne M. Cretu.

«Des (observateurs) disent que c'est une question de jours ou de semaines avant que le pays ne s'effondre. Les plus optimistes croient que ça prendra plus de temps. Mais il faudra un miracle pour sauver le pays.»