Le meurtre d’un enfant d’origine palestinienne en Illinois, vraisemblablement un crime haineux, ébranle toute une communauté

(Joliet, Illinois) Devant une mosquée de l’Illinois, un petit cercueil blanc était recouvert d’un drapeau palestinien.

Le garçon à l’intérieur, Wadea Al-Fayoume, un fan de football de 6 ans aimant les Lego, était trop jeune pour comprendre la complexité de la politique de l’endroit que ses parents palestiniens ont quitté, ou de ce pays où il a été élevé. Mais, selon les autorités de la banlieue de Chicago, il est néanmoins devenu une victime de ces divisions.

Wadea, qui aurait dû être à l’école lundi, a été pleuré par une foule immense qui a rempli la grande mosquée de Bridgeview, dans l’Illinois, et s’est répandue à l’extérieur. Les procureurs ont déclaré qu’il avait été poignardé à mort au cours du week-end dans une attaque motivée par la haine des musulmans, dans le contexte des combats en Israël et à Gaza. À quelques kilomètres de la mosquée, le propriétaire de l’immeuble où demeurait Wadea, qui a été inculpé pour son meurtre, comparaissait pour la première fois devant le tribunal.

Les membres de la famille et les amis se souviennent de Wadea comme d’un enfant gentil qui aimait nager, sauter et jouer, et qui avait fêté son anniversaire il y a quelques jours seulement. La mère de Wadea, Hanan Shaheen, qui a été grièvement blessée lors de l’attaque, était encore en convalescence et n’a pas pu assister aux funérailles, selon Ahmed Rehab, directeur général du bureau de Chicago du Conseil des relations américano-islamiques.

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Wadea, qui aurait dû être à l’école lundi, a été pleuré par une foule immense qui a rempli la grande mosquée de Bridgeview, dans l’Illinois.

« C’est un jour lourd que nous espérions ne jamais voir arriver, a témoigné Ahmed Rehab. Comme on dit, les plus petits cercueils sont les plus lourds. »

Biden réagit

L’assassinat de samedi a suscité des condamnations de la part du président des États-Unis, Joe Biden, et du ministre de la Justice, Merrick Garland, ainsi que des manifestations de chagrin de la part de dirigeants musulmans de tout le pays, dont beaucoup considèrent l’attentat comme le résultat d’une rhétorique exagérée ou partiale sur les combats à l’étranger.

Dans des interviews données à la mosquée et lors d’une conférence de presse organisée avant les funérailles, les musulmans ont fait part de leur frustration à l’égard des hommes politiques, dont M. Biden, qui avaient exprimé leur soutien à Israël, et à l’égard des journalistes américains qui, selon eux, prenaient souvent le parti d’Israël et ne reflétaient pas pleinement l’humanité du peuple palestinien.

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La victime, Wadea Al-Fayoume, 6 ans

Depuis le début des combats à l’étranger, et surtout depuis l’attentat à l’arme blanche du week-end dernier, de nombreux musulmans de la région de Chicago ont déclaré qu’ils craignaient de plus en plus pour la sécurité physique de leurs familles.

Fariz Burhanuddin, 37 ans, musulman d’origine indienne, a déclaré que sa femme et lui ne savaient pas comment parler de l’attentat à leur jeune fils.

« Je cherche les mots, a-t-il indiqué. Comment parler d’une telle chose à un enfant de 5 ans ? »

Accusations de meurtre et de crimes de haine

Au moment où les personnes en deuil se rassemblaient à Bridgeview, l’homme de 71 ans accusé du meurtre comparaissait devant le tribunal de Joliet, dans l’Illinois, à une trentaine de kilomètres de là.

Dans les documents du tribunal, les procureurs ont décrit le suspect, Joseph M. Czuba, comme colérique, imprévisible, paranoïaque et violent.

Selon les procureurs, M. Czuba avait écouté des émissions de radio conservatrices sur la guerre au Proche-Orient dans les jours précédant l’attentat et voulait que ses locataires américains d’origine palestinienne quittent l’immeuble. Il était de plus en plus préoccupé par le fait qu’il était personnellement en danger en raison de ses liens avec eux, ont-ils déclaré.

Le juge Donald W. DeWilkins a ordonné la détention de M. Czuba sans possibilité de libération. M. Czuba est apparu au tribunal voûté et échevelé, les cheveux emmêlés, et a répondu calmement par « Oui, monsieur » aux questions du juge.

Il est accusé de meurtre au premier degré, de tentative de meurtre au premier degré, de deux crimes de haine et de coups et blessures graves avec une arme mortelle. Au tribunal, M. Czuba a demandé de bénéficier d’un avocat commis d’office.

Enquête fédérale

À l’extérieur de la mosquée de Bridgeview où se sont déroulées les funérailles, une foule nombreuse s’est rassemblée, les voitures remplissant le stationnement et se répandant dans les rues secondaires. Des policiers de toute la région de Chicago étaient postés dans les rues entourant la mosquée.

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À l’extérieur de la mosquée de Bridgeview où se sont déroulées les funérailles, une foule nombreuse s’est rassemblée.

Après l’annonce des accusations, les autorités de l’Illinois et de Washington ont rapidement publié des déclarations condamnant l’attaque. M. Biden s’est dit « choqué et écœuré » et a déclaré que « cet horrible acte de haine n’a pas sa place en Amérique ». Le gouverneur démocrate de l’Illinois, J. B. Pritzker, a pour sa part affirmé que « prendre la vie d’un enfant de 6 ans au nom du sectarisme n’est rien de moins que diabolique ».

M. Garland a annoncé l’ouverture d’une enquête fédérale sur les crimes de haine et a indiqué que « cet évènement ne peut que renforcer les craintes des communautés musulmanes, arabes et palestiniennes de notre pays à l’égard de la violence motivée par la haine ». Le FBI a indiqué qu’il travaillait sur l’affaire.

« Personne aux États-Unis d’Amérique ne devrait avoir à vivre dans la peur de la violence en raison de son culte ou de l’origine de sa famille », a ajouté M. Garland.

En colère

M. Czuba avait loué deux chambres dans sa maison de Plainfield Township, à environ 65 km au sud-ouest du centre de Chicago, à Mme Shaheen, 32 ans, et à son fils. Samedi, le matin de l’attaque, Mme Shaheen a déclaré aux enquêteurs que M. Czuba avait frappé à la porte de sa chambre et lui avait dit qu’il était en colère à cause de la guerre en Israël.

Elle a répondu : « Prions pour la paix », selon les enquêteurs.

Mais le suspect l’a immédiatement attaquée avec un couteau, la forçant à se réfugier et à s’enfermer dans une salle de bains, où elle a composé le 911. Après l’arrivée de la police, son fils a été retrouvé poignardé 26 fois et sans réaction dans sa chambre.

La banlieue de Chicago compte une importante communauté américano-palestinienne, notamment dans un quartier qui compte de nombreux restaurants et magasins arabes et que certains appellent la « Petite Palestine ». L’attentat de samedi s’est produit dans une autre partie de la banlieue, dans une maison située le long d’un tronçon d’autoroute très fréquenté, près d’un concessionnaire Chevrolet et d’un restaurant de grillades. La propriété était ornée de plusieurs drapeaux américains, d’une publicité pour du miel biologique et d’un panneau demandant aux gens de prier pour mettre fin à l’avortement.

Une voisine, Mariola Jagodzinski, qui habite deux maisons plus loin, a décrit Wadea comme « un enfant enjoué, vraiment plein d’énergie ». Elle a indiqué qu’elle avait aidé Joseph Czuba à construire une cabane pour l’enfant il y a quelques années.

« Je ne peux pas imaginer ce que les parents traversent. En tant que parent, cela me brise le cœur. »

À la mosquée où Wadea a été pleuré, beaucoup ont dit qu’ils espéraient que la mort du garçon obligerait les Américains à revoir leur discours sur les Israéliens et les Palestiniens. L’autre possibilité, craignent-ils, pourrait être un retour aux jours qui ont suivi les attaques terroristes du 11 septembre 2001, lorsque les musulmans de tout le pays ont été victimes de crimes haineux et se sont inquiétés pour leur sécurité.

« N’avons-nous rien appris du 11-Septembre ? », a demandé l’imam Omar Suleiman, à l’extérieur de la mosquée. « Voulons-nous vraiment revivre ces années sombres ? »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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