(New York) Ne manquerait plus que Joe Biden confie à Kamala Harris la mission de négocier avec les talibans.

Mercredi dernier, le président américain a souligné un premier anniversaire qu’il aurait peut-être passé sous silence s’il n’avait pas l’impression d’avoir été un peu ingrat à l’endroit de sa vice-présidente.

« Il y a un an aujourd’hui, j’ai pris l’une des décisions les plus importantes que j’ai jamais prises : choisir mon vice-président. Je n’aurais pas pu demander une meilleure partenaire et amie pour ce voyage. Merci [Madame la Vice-Présidente] pour tout ce que vous faites », a tweeté Joe Biden.

Kamala Harris n’en demandait peut-être pas tant. Depuis le début de sa présidence, Joe Biden l’a submergée de dossiers épineux ou toxiques. Elle doit s’attaquer aux causes profondes de l’exode de migrants d’Amérique centrale vers les États-Unis ; aider à contrer l’hésitation vaccinale ; mener le combat de l’administration pour le droit de vote ; et lutter pour la réforme de la police.

Il est évidemment trop tôt pour porter un jugement définitif sur le travail de la première vice-présidente de l’histoire américaine. Mais il faut reconnaître que les électeurs semblent porter sur elle un regard plus négatif que sur le président.

Le Los Angeles Times, qui consacre une attention minutieuse à l’ancienne sénatrice et procureure générale de Californie, la créditait de 45 % d’opinions favorables contre 49 %, selon la moyenne des sondages compilée par le journal.

Après près de sept mois au pouvoir, Kamala Harris est ainsi un peu plus populaire que Mike Pence, vice-président de Donald Trump, mais beaucoup moins que Joe Biden, Dick Cheney et Al Gore, respectivement numéros deux de Barack Obama, George W. Bush et Bill Clinton.

Certains démocrates s’inquiètent de cette relative impopularité. Car ils se demandent déjà comment leur parti devra traiter Kamala Harris en 2024 si Joe Biden décide de ne pas solliciter un deuxième mandat. On y reviendra plus loin.

Un « environnement malsain »

Selon les données du Los Angeles Times, il est évident que la cote de popularité de Kamala Harris est passée en territoire négatif en juin dernier, après un voyage au Mexique et au Guatemala marqué par des controverses.

PHOTO JIM WATSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Kamala Harris et le ministre des Affaires étrangères du Guatemala, Pedro Brolo, en juin dernier

La vice-présidente n’a sans doute pas aidé sa cause lors d’une interview accordée au chef d’antenne de NBC News Lester Holt durant son séjour au Guatemala, le 8 juin. Depuis des semaines, les républicains comptaient les jours où elle n’avait pas visité la frontière sud après avoir hérité du dossier touchant aux migrants. Le journaliste lui a donc demandé quand elle comptait s’y rendre enfin. À la deuxième question sur le sujet, la vice-présidente a déclaré : « Nous sommes allés à la frontière.

– Non, vous n’êtes pas allée à la frontière, a répliqué Lester Holt.

– Et je ne suis pas allée en Europe », a rétorqué Kamala Harris sur un ton exaspéré.

Les élus républicains et leurs alliés médiatiques se sont délectés de cet échange, y voyant une certaine arrogance de la part de la vice-présidente et un refus certain de la part de l’administration Biden d’affronter un problème ou une crise à la frontière sud.

Kamala Harris a fini par se rendre dans la région. Mais le mal était fait.

Et elle n’était pas au bout de ses peines. Fin juin, le site d’information Politico a publié un long article faisant état d’un « environnement malsain » au sein du bureau de la vice-présidente. Environnement attribué en grande partie à la cheffe de cabinet de Kamala Harris, Tina Flournoy, une femme de couleur, mais également à la patronne elle-même.

« Tout commence au sommet », a déclaré à Politico un responsable de l’administration Biden, qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat comme tous les autres critiques cités.

Dans une déclaration transmise au site Axios, concurrent de Politico, le conseiller du président Cedric Richmond a dénoncé une « campagne de diffamation destinée à couler » Kamala Harris.

Sexisme et racisme

Autrement dit, la Maison-Blanche a pris l’affaire au sérieux. Elle n’est pas la seule. Selon Axios, plusieurs femmes influentes au sein du Parti démocrate se sont réunies début août pour planifier la défense de Kamala Harris et stopper le flot de reportages négatifs la concernant.

Parmi les femmes les plus connues du groupe se trouvaient Donna Brazile, ex-présidente du Comité national du Parti démocrate, Jennifer Palmieri, ex-directrice des communications de Barack Obama, et Stephanie Cutter, ex-conseillère d’Obama.

Les participantes se sont notamment interrogées sur la façon de combattre les connotations sexistes qui colorent souvent les reportages des médias sur Kamala Harris. « C’est subtil », a confié l’une des participantes à Axios. « Mais quand les choses ne vont pas bien pour un homme politique, nous posons des questions très différentes, et ils ne sont pas tenus de rendre des comptes comme le sont les femmes dirigeantes. »

Il n’y a cependant rien de subtil à propos de ce que l’on peut lire ou entendre sur Kamala Harris dans certains médias conservateurs et réseaux sociaux. On y a affaire à un racisme et à un sexisme qui ne souffrent d’aucun complexe.

Cela étant dit, une candidature de Kamala Harris à la présidence en 2024 pourrait créer un malaise au sein même du Parti démocrate. Certes, rien n’indique pour le moment que Joe Biden ne sera pas candidat à sa réélection. Mais s’il devait tirer sa révérence après un seul mandat, la vice-présidente serait son héritière présomptive.

Ce scénario semble inquiéter certains démocrates, qui n’ont pas oublié la course à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2020. Kamala Harris s’en était retirée avant même la tenue des premiers caucus et primaires.

« De nombreux démocrates, y compris de hauts responsables de l’administration, craignent qu’elle ne puisse pas battre le candidat du Parti républicain, quel qu’il soit, même s’il s’agit de Donald Trump », a écrit le site Axios le 2 juillet dernier.

Mais le Parti démocrate pourrait-il se permettre de tourner le dos à la première vice-présidente noire des États-Unis ?