La frontière entre les États-Unis et le Mexique n'est pas une ligne droite. Elle serpente le long de montagnes, divise des canyons et se perd à l'horizon, loin de toute trace humaine.

Luke Dittrich a appris à reconnaître les différents types de terrain et à se préparer en conséquence.

«Parfois, je dois pousser mon chariot, et la pente est si raide que je serais blessé s'il me passait dessus, dit-il. D'autres fois, la frontière disparaît au loin et je ne sais plus où je suis.»

L'expédition qu'a entreprise M. Dittrich, journaliste à Esquire, est unique: il veut parcourir la frontière entre les États-Unis et le Mexique, de l'océan Pacifique jusqu'au golfe du Mexique, un trajet de plus de 3110 km dans des endroits arides, inhospitaliers, dangereux, peu fréquentés.

M. Dittrich n'a pas de sac à dos. Il pousse un landau pour bébé, qui contient ses réserves d'eau, sa nourriture, sa tente. À portée de la main, il garde un GPS, une bouteille d'eau Nalgene et une bonbonne de gaz poivre. Le tout pèse 55kg.

Avec son reportage sur la frontière, il veut donner vie à un endroit qui fait souvent les manchettes mais que personne ne se donne la peine de parcourir. «J'avais cette idée depuis des années, mais c'est mon éditeur qui m'a lancé le défi. Il m'a donné quelques jours pour y penser, et j'ai décidé d'y aller.»

M. Dittrich n'avait qu'une seule condition: planifier des étapes au cours desquelles il pourrait rentrer chez lui, à Whitehorse, au Yukon, afin de passer du temps avec sa fille. «Ma fille a 4 ans, et je ne voulais pas être parti de la maison durant des mois. C'est pour cette raison que j'ai séparé le voyage en trois sections.»

Il a commencé à marcher le 17 janvier à San Diego et a franchi 560 km en 22 jours, jusqu'à la petite ville d'Ajo, en Arizona. «Et j'ai pris beaucoup de journées de repos parce que j'avais des ampoules aux pieds.»

Son premier reportage, un article de 8000 mots, a été publié dans le magazine Esquire du mois de mai. Il compte en faire un deuxième à l'automne et un dernier durant l'hiver.

Première erreur

Une nuit, à 25km à l'est de la ville de Tecate, il a commis sa première erreur: planter sa tente au fond d'un canyon nommé La Gloria, dans des buissons, à une trentaine de mètres au nord de la frontière. Un agent frontalier nerveux l'a vite repéré.

«Je lui ai expliqué que je croyais être en sécurité, caché des rôdeurs par les buissons, et assez loin de la frontière. Il m'a répondu que les trafiquants adoraient passer ici pour les mêmes raisons. Je n'ai pas très bien dormi cette nuit-là.»

Sans le savoir, M. Dittrich déclenchait les capteurs souterrains installés par les agents frontaliers américains. Ces derniers étaient étonnés de trouver un voyageur en plein désert.

«Les agents demandent à voir les semelles de mes souliers. Ils les comparent avec les empreintes qu'ils voient sur le sol, pour éviter de les confondre avec celles des gens qui traversent la frontière.»

La crainte de rencontrer des trafiquants ou des membres de cartels occupait son esprit avant le périple. M. Dittrich a vite compris que les probabilités qu'il croise quelqu'un -n'importe qui- étaient faibles.

«J'imaginais la frontière comme un endroit plein d'action, mais j'ai passé mes journées complètement seul. Les gens qui traversent la frontière viennent pour travailler ou rejoindre leur famille. Les risques de tomber sur des criminels violents sont faibles.»

Dans un bar de Yuma, on lui a appris que, durant la récente construction du mur de la frontière, des cartels mexicains avaient maquillé leurs camions pour qu'ils ressemblent à ceux des entrepreneurs qui allaient et venaient dans le désert. «Cet été-là, les narcotrafiquants pouvaient se déplacer librement, sans éveiller les soupçons des agents», dit-il.

Il s'est souvenu de cette anecdote quelques jours plus tard, quand un camion aux couleurs des services frontaliers s'est arrêté à sa hauteur, mais dont les occupants n'étaient pas en uniforme.

«Je me suis senti vulnérable. Dans ces situations-là, on commence à imaginer toutes sortes de scénarios. Le désert produit cette réaction. Il vous rend parano.»