Kamza est l'une de ces agglomérations d'Albanie trop vite grandies, à l'urbanisme anarchique, où ont échoué des vagues successives de déracinés, chassés de leurs montagnes par la misère, mais ils ont une consolation: ils habitent dans la rue Paris, New York ou Tokyo.

Située à quelques kilomètres au nord de la capitale Tirana, Kamza était encore récemment un bourg de six mille habitants. Ils sont aujourd'hui cent mille, venus pour la plupart du nord du pays, trop pauvre pour les nourrir ou chassés de chez eux par l'insurrection armée qui a secoué l'Albanie en 1997.

Dans ce pays où de très nombreuses rues restent anonymes, tant l'explosion urbaine fut rapide ces vingt dernières années, Kamza présente la particularité d'avoir baptisé plusieurs rues et ruelles du nom de grandes villes occidentales, qui paraissent si lointaines et irréelles dans cet environnement de grande pauvreté et de difficultés quotidiennes. D'autres portent le nom de dirigeants étrangers.

Le passant qui se risque dans la rue Paris, au sol boueux, doit éviter des débris en ciment et autres détritus pour poursuivre son chemin, longeant des murs de parpaings sans grâce ou des bâtisses précocement vieillies, avec quelques pavillons cherchant à préserver leur aspect propret.

La rue «Nicolas Sarkozy» est asphaltée avec ces constructions souvent inachevées que l'on retrouve un peu partout en Albanie.

La rue «Tokyo» ressemble un peu à un bout de chemin de campagne, dont les habitants tentent d'entretenir de vagues jardins.

Mais il y a aussi la rue Silvio Berlusconi, George Bush ou Tony Blair, sans compter celles qui portent l'appellation d'écrivains étrangers illustres ou encore celles de l'OTAN ou de la Banque mondiale.

Le maire de Kamza, Xhelal Mziu, ne cache pas sa fierté.

Donner de tels noms aux rues de sa localité, est-il persuadé, va contribuer à «effacer l'image négative de cette région et de ces gens» qui ont afflué vers Tirana en occupant illégalement des terrains.

Car le gigantesque exode rural qu'a connu l'Albanie depuis vingt ans a été très mal perçu par les habitants des villes, inquiets de voir s'installer un peu n'importe comment et n'importe où, en l'absence de cadastre, ces gens de la campagne, dont ils raillent les manières frustes.

Habiter la rue Paris ou la rue Tokyo, pense Xhelal Mziu, donnera au moins à leurs riverains «l'illusion qu'ils habitent ces villes-là». Le maire espère bien que Nicolas Sarkozy viendra un jour, en compagnie de son épouse Carla, découvrir la rue portant son nom.

«On peut toujours fermer les yeux et rêver que l'on est à Paris ou à Pékin, mais quand on les rouvre, la réalité est dure», grommelle Lena Mrishaj, 54 ans, une mère de sept enfants. Ses revenus mensuels sont de 100 euros.

Cette mode des noms exotiques a été décidée il y a quelques mois par le Conseil municipal.

Le maire ne sait plus très bien par contre pourquoi Kamza dispose maintenant d'une rue Luanda, Grottole ou Macerata.

Ces trois derniers noms ne disent d'ailleurs rien à Lena.

Sanije Ashta, une jeune femme d'une trentaine d'années, n'a pas de ces hésitations: «Balzac? Un footballeur du Real Madrid. Hugo? Un grand guerrier. Sarah Palin? Probablement une actrice».

Xhelal Mziu a une réponse toute prête pour les rues Banque mondiale, OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) ou encore USAID.

«Il s'agit de leur faire plaisir, pour pouvoir profiter des aides», explique-t-il.

Izet, qui tient un café dans la rue Commonwealth, est bien de cet avis: «j'espère que tous ces gens, contents de voir le nom de leurs organisations dans les rues de Kamza, vont nous venir en aide».