Le président ukrainien Petro Porochenko a présenté jeudi à Vladimir Poutine son plan de paix pour l'Est prorusse mais s'est plaint d'une présumée incursion de tank russe en Ukraine lors de leur premier échange «substantiel».

«Le président ukrainien a fait part à Vladimir Poutine de son plan de résolution de la situation dans le sud-est de l'Ukraine», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

C'était le premier échange les deux hommes après une brève rencontre il y a une semaine en France qui avait fait naître un espoir d'apaisement.

Même si la présidence ukrainienne a indiqué que la conversation de jeudi avait été «longue et substantielle», le porte-parole de M. Porochenko a souligné que le nouveau président ukrainien s'était plaint à M. Poutine d'une incursion présumée de trois tanks en territoire ukrainien.

«M. Porochenko a qualifié la situation d'inacceptable», a écrit le porte-parole sur sa page Facebook dans une allusion aux informations selon lesquelles trois tanks de l'époque soviétique avaient pénétré en territoire ukrainien en provenance de Russie, ce que Moscou a démenti.

La tension persiste toutefois dans l'Est de l'Ukraine à Donetsk en particulier où une explosion - probablement un attentat - a fait sauter la voiture du chef des insurgés séparatistes de la ville, Denis Pouchiline, a indiqué à l'AFP une porte-parole des séparatistes.

M. Pouchiline, un des leaders de la «République populaire de Donetsk» (auto-proclamée), n'était pas dans sa voiture mais trois de ses gardes du corps ont été blessés, selon la porte-parole.

Kiev contrôle de 100 km de frontière

Des journalistes de l'AFP avaient entendu une violente explosion, suivie de plusieurs autres moins fortes qui ressemblaient à des tirs d'artillerie peu après 22 h locales (15h à Montréal) dans le centre de la ville.

Avant l'entretien de MM. Poutine et Porochenko, le chef de la diplomatie russe SergueÏ Lavrov avait dénoncé «l'absence d'un quelconque progrès dans les efforts d'apaisement de la violence» et la poursuite de l'«opération répressive» de Kiev pour mater l'insurrection prorusse.

La Russie entend déposer un projet de résolution à ce sujet devant le Conseil de sécurité de l'ONU afin d'obtenir que l'Ukraine «commence à appliquer la feuille de route» élaborée en mai par le président de l'OSCE, le Suisse Didier Burkhalter, a-t-il ajouté.

Il a par ailleurs demandé une enquête urgente sur les informations faisant état de l'emploi de bombes incendiaires par les forces ukrainiennes, des accusations publiées par les médias russes et démenties par les autorités ukrainiennes.

À Kiev, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andrii Dechtchitsa, a en revanche estimé que la balle était dans le camp des Russes.

«Il faut que la Russie cesse de soutenir les séparatistes. Il faut arrêter l'envoi de blindés et de camions pleins de combattants armés dans les régions de l'Est», a-t-il lancé au cours d'une conférence de presse.

Après avoir dénoncé l'incursion des chars russes, le président ukrainien a affirmé que Kiev avait réussi à reprendre le contrôle de 100 km de la frontière avec la Russie.

«Si tout cela cesse, il y a toutes les chances que le plan de paix proposé par le président ukrainien soit mis en oeuvre», a assuré M. Dechtchitsa. Dans le cas contraire, l'Ukraine va demander aux Occidentaux de renforcer leurs sanctions contre la Russie, a-t-il insisté.

À Slaviansk et Donetsk ni eau, ni électricité 

Un des points clés du plan Porochenko est la création de couloirs humanitaires réclamés par Moscou pour permettre aux civils de quitter les zones de combats, où les violences ont fait 270 morts en deux mois.

À Donestk, ville d'un million d'habitants et chef-lieu de la région séparatiste, le «Premier ministre» autoproclamé, Alexandre Borodaï, a mis en doute jeudi la capacité de Kiev de le faire.

Les combats restent réguliers dans les régions de Donetsk et Lougansk, où les insurgés ont proclamé des «Républiques» indépendantes et pris le contrôle d'une partie de la frontière avec la Russie.

Les affrontements sont particulièrement vifs dans les environs de Slaviansk, bastion prorusse de la région de Donetsk où les habitants doivent vivre sans eau et souvent sans électricité.

La Russie a également accentué la pression sur Kiev sur le front du gaz après l'échec de pourparlers mercredi à Bruxelles alors que l'Ukraine rejette la baisse de prix proposée par Moscou au risque d'une coupure des approvisionnements redoutée des Européens.

Le géant russe Gazprom a donné jusqu'au 16 juin à Kiev pour rembourser une dette gazière, faute de quoi il menace de passer à un système de pré-paiement qui pourrait signifier la fermeture du robinet.

Le PDG de Gazprom Alexeï Miller a prévenu jeudi qu'il n'y aurait plus de report de date limite en réclamant «1,95 milliard de dollars d'ici lundi 10 h».

Moscou accuse Kiev d'utiliser des munitions au phosphore

La Russie a introduit jeudi un nouveau projet de résolution concernant l'Ukraine devant le Conseil de sécurité où elle demande à l'ONU d'agir davantage, et elle a accusé Kiev d'utiliser des munitions au phosphore.

Le projet a été présenté lors de consultations à huis clos qui se sont surtout concentrées sur l'Irak, mais l'ambassadeur russe à l'ONU, Vitali Tchourkine a précisé que le texte proposé sur l'Ukraine a été bien accueilli et a fait l'objet de «suggestions».

Ce projet actualise un premier texte présenté le 2 juin, qui avait alors reçu un accueil plutôt frais du Conseil. Il appelle à la fin immédiate des violences, à un cessez-le-feu durable et à une implication accrue des Nations unies pour négocier une solution au conflit.

La Russie aimerait que l'ONU prête main-forte à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), actuellement en première ligne pour tenter de trouver une sortie de crise. Moscou aimerait améliorer la feuille de route et lancer un dialogue «impliquant tous les mouvements politiques et toutes les régions du pays».

Selon M. Tchourkine, Moscou dispose également pour la première fois de «rapports» faisant état de l'utilisation de munitions au phosphore par les forces ukrainiennes dans les combats.

Plus tôt dans la journée, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov a regretté l'absence d'un «quelconque progrès» dans les efforts promis par le pouvoir ukrainien pour une désescalade sur le terrain.

«Nous sommes de plus en plus inquiets de voir l'absence d'un quelconque progrès dans les efforts d'apaisement de la violence, de cessation des affrontements, à commencer par la fin de l'opération répressive», a déclaré M. Lavrov, cité par Itar-Tass.

Concernant la résolution que la Russie s'apprêtait à déposer à l'ONU, M. Lavrov a insisté sur la volonté de Moscou «d'obtenir que la partie ukrainienne commence à appliquer la feuille de route» élaborée en mai par le président de l'OSCE, le Suisse Didier Burkhalter.

«Nous savons que les insurgés dans le sud-est sont prêts à cesser le feu, mais le premier pas doit être fait par les autorités de Kiev», a souligné M. Lavrov.

Celui-ci a par ailleurs demandé une enquête urgente sur les informations faisant état de l'emploi de bombes incendiaires par les forces ukrainiennes.

«Les informations sur l'emploi par les forces ukrainiennes de bombes incendiaires et d'autres types d'armes non sélectives suscitent une inquiétude particulière. Ces informations nécessitent une vérification urgente», a-t-il déclaré, cité par Itar-Tass.

La Garde nationale ukrainienne a démenti jeudi matin ces accusations, reprises notamment par les médias publics russes, et qualifiées d'«absurdes» dans un communiqué.

La Russie n'a cessé ces dernières semaines d'accuser les forces ukrainiennes de recourir à des moyens disproportionnés dans leur opération armée contre l'insurrection dans l'est du pays.

L'UE a, de son côté, appelé Kiev à la retenue dans ses opérations armées tout en soulignant la légitimité, selon elle, de cette action.

Les munitions au phosphore blanc, qui s'enflamme au contact de l'oxygène contenu dans l'air et brûle à des températures très élevées, ne sont interdites par aucun traité international. Mais leur emploi est réglementé par le protocole III de la Convention sur les armes classiques de 1980 «sur l'interdiction ou la limitation des armes incendiaires».