Le premier ministre espagnol José Luis Zapatero a parlé hier d'un événement des plus «préoccupants», faisant écho à l'inquiétude qui a été exprimée un peu partout en Occident devant la montée de l'extrême droite, dont se réclame Anders Behring Breivik. Le volumineux manifeste publié par Breivik cite ses influences, d'un groupuscule britannique fondamentaliste chrétien à des blogueurs américains anti-islam en passant par une auteure canadienne... de gauche.

L'auteure canadienne Naomi Klein est «horrifiée» mais non surprise que le tueur norvégien Anders Behring Breivik ait fait allusion à ses livres dans son manifeste.

«Il fait partie d'une tradition monstrueuse que j'ai documentée», a-t-elle laissé tomber dans un soupir lorsque La Presse l'a jointe.

Dans sa brique de 1500 pages intitulée 2083: Une déclaration européenne d'indépendance, Breivik exprime sa haine contre les musulmans et les «marxistes culturels», qui menacent selon lui l'avenir des Blancs et du conservatisme en Europe.

La stratégie du choc

Le document contient plusieurs articles signés «Fjordman», pseudonyme utilisé par un blogueur d'extrême droite norvégien à l'identité inconnue. L'un de ces textes analyse La stratégie du choc, un livre de Naomi Klein traduit en 30 langues et vendu à plus de 1 million d'exemplaires.

Dans cet ouvrage, la journaliste torontoise et figure de proue du mouvement altermondialiste développe la thèse selon laquelle certaines réformes politiques radicales de droite ont pu être implantées dans des pays à la faveur d'une crise ou d'un désastre qui a plongé la population dans un «état de choc».

L'auteure évoque notamment le cas du Chili de Pinochet et celui de l'Irak après l'invasion américaine. Elle dénonce cette façon de faire, mais le tireur norvégien affirme pour sa part qu'il s'agit d'une stratégie intéressante.

«C'est en fait un bon conseil et, de mon point de vue, il s'agit de la stratégie que les survivalistes occidentaux devraient suivre», écrit le blogueur.

«J'ai été absolument horrifiée que quelqu'un ayant commis un acte aussi calculé de terrorisme politique puisse avoir lu mon livre», a dit Naomi Klein hier.

Elle voit un parallèle entre le chapitre où elle relate le massacre de jeunes opposants politiques par la junte militaire en Argentine et l'irruption meurtrière de Breivik dans une réunion de la jeunesse sociale-démocrate norvégienne.

«Cette idée d'éliminer une génération de futurs leaders politiques donne froid dans le dos. Et c'est ce dont je parle dans les premiers chapitres de mon livre sur les dictatures en Amérique latine», dit-elle.

Pas surprenant

L'auteure n'est toutefois pas surprise de voir son oeuvre citée par un esprit aussi éloigné d'elle idéologiquement.

«Quand j'ai lancé La stratégie du choc, le livre a été extrêmement controversé en Scandinavie. En Suède, il y a même eu une manifestation contre mon livre. Je crois que c'est parce que, dans ces pays fortement sociaux-démocrates, l'extrême droite se sent extrêmement victimisée, car elle est très marginale. Certains d'entre eux avaient un fort complexe de victime et étaient obsédés par La stratégie du choc.»

Breivik fait par ailleurs référence dans son manifeste à un autre livre de l'auteure canadienne, le best-seller altermondialiste No Logo.

Il le cite parmi une longue liste d'ouvrages de gauche dans lesquels il croit que les mouvements d'extrême droite européens pourraient tirer certaines leçons au sujet de la conquête du pouvoir.