Le nouvel essai atomique annoncé lundi par Pyongyang pourrait traduire l'impatience du régime qui cherche à forcer la nouvelle administration américaine à dialoguer, à moins qu'il ne s'agisse d'une bravade pour raffermir le pouvoir d'un Kim Jong-Il affaibli, selon des experts.

«Il s'agit d'un avertissement fort adressé aux États-Unis», décrypte pour l'AFP le professeur Kim Yong-Hyun de l'université Dongguk de Séoul.

«Cela reflète l'impatience croissante de la Corée du Nord», ajoute le spécialiste, selon qui Kim Jong-Il pourrait ressentir la nécessité de s'attaquer à deux questions cruciales engageant l'avenir du régime: les relations avec Washington et la question de sa succession.

Questions d'autant plus brûlantes que le leader communiste âgé de 67 ans, aurait été victime d'une attaque cérébrale en août 2008, selon les services secrets américain et sud-coréen.

Le régime a une longue histoire de crises internationales provoquées à dessein pour faire monter les enchères puis négocier en position de force.

Peu après son premier essai atomique du 9 octobre 2006, qui avait déclenché un tollé international, Pyongyang était revenu à la table des discussions sur sa dénucléarisation. La Corée communiste avait arraché en 2007 le principe d'une substantielle aide énergétique contre un renoncement à ses ambitions atomiques.

Ces laborieuses tractations, entamées en 2003 et impliquant cinq autres partenaires (Corée du Sud, États-Unis, Chine, Japon, Russie) sont aujourd'hui complètement enlisées.

En 1998, la Corée du Nord avait provoqué une crise internationale en tirant un missile à longue portée Taepodong-1 qui avait survolé une partie du Japon avant de s'abîmer dans le Pacifique.

Le dialogue avait pourtant rapidement repris avec les États-Unis et la secrétaire d'État américaine d'alors, Madeleine Albright, avait effectué une visite historique à Pyongyang en 2000.

L'essai atomique de lundi vise ainsi peut-être autant à tester la nouvelle administration américaine qu'à prendre langue avec ses responsables.

Car si les États-Unis font figure d'ennemi numéro un depuis la fin de la guerre de Corée en 1953 (qui a abouti à la partition de la péninsule coréenne), Kim Jong-Il a toujours cherché à engager des pourparlers directs avec Washington, interlocuteur aussi honni qu'incontournable.

«Pour diverses raisons, la Corée du Nord est pressée. Les présumés problèmes de santé de Kim pourraient être l'une de ces raisons», estime Cheong Seong-Chang, expert auprès du Centre de réflexion Sejong.

«L'essai nucléaire est aussi perçu comme une réponse aux sanctions de l'ONU», dit-il.

Le Conseil de sécurité de l'ONU avait condamné le mois dernier un tir de fusée balistique effectué le 5 avril par la Corée du Nord et a renforcé le régime de sanctions mis en place à son encontre en 2006.

En réponse à cette condamnation, Pyongyang avait annoncé son retrait des négociations sur le nucléaire, l'arrêt de sa coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et la réactivation de ses installations nucléaires.

Exigeant des «excuses» des Nations unies, Pyongyang avait aussi menacé de procéder à un nouvel essai nucléaire.

À travers cet essai, «la Corée du Nord adresse un reproche marqué à l'administration Obama», souligne Baek Seung-Joo, chercheur auprès de l'Institut coréen de Défense.

Pour son collègue de l'Université de Séoul, Yang Moo-Jin, il s'agit de faire pression pour obtenir des négociations directes avec les États-Unis.

«Le président Kim suit une feuille de route, conformément à de méticuleux calculs. Passé les sanctions et les condamnations, il espère profiter à plein des futures négociations sur le nucléaire», dit-il.Voici une chronologie de plus de 6 ans de crise nord-coréenne à la suite du nouvel essai atomique annoncé lundi par Pyongyang:

-- 2002 --

- 16 oct : Selon Washington, Pyongyang admet enrichir l'uranium, violant un accord bilatéral de 1994.

- 21/25 déc : La Corée du Nord (RPDC) démantèle le dispositif de surveillance de l'ONU de son complexe nucléaire de Yongbyon.

- 27 déc : expulsion des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

-- 2003 --

- janvier : Pyongyang se retire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

- août : À Pékin, premiers pourparlers entre les Corées du Nord et du Sud, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie.

-- 2004 --

- septembre: Après des pourparlers multilatéraux, la RPDC annonce qu'elle a achevé le traitement de 8.000 barres de combustible irradié destiné à la fabrication de bombes atomiques.

-- 2005 --

- 10 février: La RPDC annonce avoir mis au point des bombes atomiques destinées à sa défense.

- 19 sept : La RPDC s'engage à abandonner son arsenal atomique contre des garanties de sécurité, une aide énergétique et la possibilité d'obtenir un réacteur à eau légère en vue de la production d'énergie nucléaire à des fins civiles.

-- 2006 --

- 5 juil : Tir raté de sept missiles nord-coréens dont un à longue portée Taepodong-2, susceptible d'atteindre l'Alaska.

- 9 oct : La RPDC fait exploser sa première bombe atomique. Selon les experts, elle dispose de suffisamment de plutonium pour fabriquer entre 5 et 12 bombes A.

- 14 oct : Le Conseil de sécurité de l'ONU vote des sanctions économiques et commerciales.

- 18 déc : Reprise des négociations multilatérales.

-- 2007 --

- 13 fév: Accord à Pékin. La RPDC s'engage à fermer son principal complexe nucléaire de Yongbyon (nord), accepte le retour des inspecteurs de l'AIEÀ et obtient en contrepartie une aide énergétique, la levée de sanctions américaines et le début de discussions sur une normalisation des relations avec les États-Unis.

- 15 juil: Pyongyang annonce avoir fermé son complexe nucléaire de Yongbyon. L'agence atomique onusienne confirmera le 18 cette première étape d'un processus de dénucléarisation.

- 3 oct: Pyongyang s'engage à démanteler ses installations de Yongbyon avant le 31 décembre et à divulguer la «liste complète» de ses installations nucléaires.

-- 2008--

- 26 juin: Pyongyang remet à la Chine une déclaration détaillant ses programmes nucléaires.

- 27 juin: L'agence officielle Chine Nouvelle confirme la destruction par Pyongyang d'une tour de refroidissement de son réacteur de Yongbyon.

-- 2009 --

- 5 avril: la Corée du Nord lance une fusée longue portée censée placer un satellite en orbite, mais les États-Unis et le Japon soupçonnent un essai de missile déguisé.

- 25 avr: Pyongyang annonce avoir repris le retraitement de combustible nucléaire, au lendemain de sanctions de l'ONU contre des entreprises nord-coréennes après le lancement de fusée du 5 avril.

- 29 avril: La Corée du Nord menace de procéder à un nouvel essai nucléaire si l'ONU ne s'excuse pas.

- 25 mai : la Corée du Nord annonce avoir effectué «avec succès» un nouvel essai nucléaire.