Que ferait Jésus ? Aux États-Unis, les chrétiens évangéliques sont encouragés à se poser la question dans leur vie quotidienne, histoire de rester fidèles au message de leur sauveur personnel. Or, plusieurs d'entre eux semblent avoir conclu que le Seigneur voterait pour Donald Trump.

Pas moins de 75% des évangéliques blancs expriment en effet une préférence pour Trump dans un sondage Washington Post/ABC News publié hier. Grâce à eux, le candidat républicain à la présidence peut encore rêver à la Maison-Blanche, n'accusant qu'un retard de quatre points de pourcentage sur Hillary Clinton, selon ce baromètre (un sondage Wall Street Journal/NBC News publié hier donne cependant à la démocrate une avance de 11 points de pourcentage).

Mais comment expliquer l'appui massif d'électeurs attachés aux valeurs morales pour un homme accusé d'être un menteur invétéré, un escroc patenté et un prédateur sexuel?

La polarisation politique qui sévit aux États-Unis offre un début de réponse. Depuis l'alliance entre la Moral Majority du révérend Jerry Falwell et Ronald Reagan, les évangéliques blancs votent en bloc pour le candidat présidentiel du Parti républicain, peu importe son identité. Et les vieux alliés de Falwell, dont Pat Robertson, ainsi que ses jeunes héritiers, y compris son fils, continuent aujourd'hui à soutenir celui que James Dobson, fondateur de l'organisation Focus on the Family, a qualifié de «bébé chrétien» (c'était sa façon de dire que Trump faisait désormais partie des chrétiens «born-again»).

Une dose de pragmatisme

Mais il y a plus, selon Laura Olson, spécialiste des questions religieuses et politiques à l'Université Clemson, en Caroline du Sud, État situé en plein coeur de la «Bible Belt». Il y a notamment une bonne dose de pragmatisme dans le choix de nombreux évangéliques. Ceux-ci prient encore pour le renversement de l'arrêt de la Cour suprême reconnaissant l'avortement comme un droit constitutionnel.

«Plusieurs évangéliques sont prêts à se boucher le nez et à voter pour Trump, même s'ils le trouvent répréhensible, sachant qu'il nommerait à la Cour suprême des juges conservateurs, dit Laura Olson. C'est une préoccupation importante.»

La politologue établit en outre une distinction entre les évangéliques blancs qui vivent leur foi au quotidien et les autres pour qui la pratique religieuse n'est pas une priorité. Les premiers pourraient réserver une mauvaise surprise à Trump. Quand les sondeurs les questionnent sur leurs préférences en vue de l'élection présidentielle, ils peuvent choisir Trump par défaut, ayant pour Clinton une antipathie viscérale fondée notamment sur ses idées jugées trop féministes ou progressistes et les scandales dans lesquels elle a été impliquée avec son mari.

«Mais il n'est pas certain que tous ces évangéliques iront aux urnes le 8 novembre. Je m'attends à ce que le taux de participation chez les évangéliques soit plus bas que d'habitude, surtout avec les révélations quotidiennes sur le comportement de Trump envers les femmes.» - Laura Olson, spécialiste des questions religieuses et politiques à l'Université Clemson

Plusieurs évangéliques restent cependant imperméables à ces révélations, selon la politologue. Moins éduqués ou fortunés que les autres, ils ne font pas confiance aux médias grand public, préférant les informations présentées par Fox News et les sites internet tels Breitbart News et Infowars.com, qui alimentent les théories de conspiration plus ou moins racistes et sexistes dont Trump lui-même est friand.

«Vous avez parmi eux des gens qui disent: ''Ouais, je ne crois pas qu'Obama soit né aux États-Unis, je ne crois pas qu'Obama soit chrétien." Et Trump a adhéré à ces idées bien avant de lancer sa campagne présidentielle», dit Laura Olson.

Un appui dénoncé

À l'approche du scrutin présidentiel, certains évangéliques connus ont dénoncé l'appui des Robertson, Falwell fils et compagnie à Trump. Albert Mohler, président du Séminaire théologique des baptistes du Sud, fait partie de ce groupe, estimant que Donald Trump a provoqué une «crise de conscience» au sein de la droite religieuse.

«Malheureusement, plusieurs évangéliques ont fermé les yeux sur son discours racial et son nationalisme grossier», a écrit Mohler dans une tribune publiée le 9 octobre par le Washington Post. «Certains sont devenus des apologistes de Trump et ont encouragé les électeurs évangéliques à ignorer le passé du candidat [...] et à se dire que l'élection doit choisir un président et non un enseignant d'école du dimanche.

«Cet argument s'est effondré avec la divulgation de la vidéo [révélant les propos dégradants de Trump sur les femmes], a écrit Mohler. Donald Trump n'est pas seulement inapte à être un enseignement d'école du dimanche. Les évangéliques honnêtes ne voudraient pas l'avoir comme voisin.»

Que ferait Jésus? Tout compte fait, Il choisirait peut-être de ne pas se mêler de cette élection débilitante.