«Ce type deviendra président des États-Unis un jour.» Plus d'un partenaire du cabinet-conseil en stratégie Bain&Company ont fait cette remarque lorsqu'ils ont rencontré le jeune Mitt Romney, fils de l'ancien gouverneur du Michigan, diplômé de Harvard en droit et en gestion des affaires. Leur prédiction pourrait bien se concrétiser le 6 novembre, date du scrutin présidentiel américain. Pour le candidat républicain, une victoire sur Barack Obama représenterait, à 65 ans, l'aboutissement d'une vie façonnée par la religion, les affaires et la politique. Voici cinq des étapes les plus importantes de son parcours.

1968 - Un flirt avec la mort en France

Mitt Romney est au volant d'une Citroën DS 21, un jour de juin 1968. Parti de Paris, il conduit à Pau le président de la mission française de l'Église mormone, dont il est le nouvel assistant, la femme de ce dernier et un autre missionnaire.

Dans le village de Bernos-Beaulac, près de Bordeaux, une Mercedes conduite par un prêtre catholique sous l'effet de l'alcool rate un virage et heurte de plein fouet la DS. «Il est mort», écrit un gendarme dans le passeport de Mitt Romney à la vue de son corps inanimé.

En réalité, le jeune Américain a perdu connaissance. Il s'en tirera avec un bras cassé et des contusions au visage. Leola Anderson, la femme du président de la mission, n'a pas cette chance: elle perd la vie dans l'accident.

Une fois remis de ses blessures, Mitt Romney remplace Duane Anderson à la tête de la mission mormone de Paris durant sept semaines. Âgé de 21 ans, il est en France depuis 24 mois pour la mission de prosélytisme que les jeunes mormons doivent mener à l'étranger ou dans une paroisse autre que la leur.

Responsable de 200 missionnaires, Mitt Romney parvient non seulement à remonter le moral du groupe mais également à augmenter le nombre de conversions en France. Au cours de cette période, il ne donne jamais l'impression d'être traumatisé par son flirt avec la mort ou taraudé par un sentiment de culpabilité à la suite de la mort de Leola Anderson.

Mais l'accident de voiture le marque néanmoins profondément, s'il faut se fier à l'une de ses très rares confidences sur le sujet: «Cela m'a fait comprendre de façon douloureuse que la vie est fragile, que nous sommes ici seulement pour une courte période et que nous devrions en profiter pour accomplir des choses importantes et non frivoles.»

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À la fin des années 60, Mitt Romney et un ami posent au bassin d'Arcachon, en Gironde. Le candidat républicain a passé plus de deux ans en France pour une mission de prosélytisme que les jeunes mormons doivent mener à l'étranger.

1984 - Naissance d'un entrepreneur

«J'ai quitté un emploi sûr avec quelques amis pour lancer une entreprise. C'était mon rêve d'essayer de bâtir une entreprise à partir de rien. Nous avons commencé dans un petit bureau.»

Lorsqu'il a posé sa candidature à l'investiture républicaine pour l'élection présidentielle de 2012, Mitt Romney a décrit en ces termes la naissance, en 1984, du fonds d'investissement Bain Capital, dont il a dirigé les activités jusqu'en 1999 et qui lui a permis d'amasser une fortune d'environ 250 millions de dollars.

La réalité est cependant moins flatteuse pour le candidat républicain, si l'on se fie à Michael Kranish et Scott Helman, auteurs d'une biographie intitulée The Real Romney. Selon le récit de ces journalistes réputés du Boston Globe, Mitt Romney a d'abord refusé la proposition de Bill Bain, patron légendaire du cabinet-conseil en stratégie Bain&Company, de démarrer un fonds d'investissement avec son aide. Vedette de Bain&Company depuis 1977 et père de cinq jeunes enfants, Mitt Romney ne voulait pas compromettre son avenir en se lançant dans une affaire dont l'échec nuirait à ses finances et à sa réputation.

Selon les auteurs de The Real Romney, Bill Bain a rassuré son protégé en lui disant qu'il le reprendrait à Bain&Company, en cas d'échec chez Bain Capital, et qu'il inventerait une histoire avantageuse pour expliquer son retour au bercail.

Un tel subterfuge n'a évidemment pas été nécessaire. Mitt Romney a connu le succès à la tête de Bain Capital en rachetant et en revendant des entreprises. Staples et Domino's Pizza font partie des plus grandes réussites de l'homme d'affaires. Mais la «méthode Bain» lui a également permis d'amasser des millions de dollars grâce à des entreprises qui ont dû licencier des employés ou fermer leurs portes.

«La pilule est parfois dure à avaler, mais nécessaire pour sauver la vie du patient», s'est défendu Mitt Romney lors d'une interview en 2007.

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Mitt Romney et William Bain Jr, en octobre 1990. Ce dernier a convaincu M. Romney de prendre les rênes du fonds d'investissement Bain Capital, qui a fait sa fortune.

2002 - Le sauvetage des Jeux olympiques

Quand Mitt Romney a qualifié de «déconcertante» la préparation des Jeux olympiques de Londres, en juillet, le premier ministre britannique a répliqué: «Bien sûr, c'est plus facile de tenir des Jeux au milieu de nulle part.»

David Cameron faisait allusion à Salt Lake City. Vrai, la capitale de l'Utah n'est sans doute pas aussi animée que celle du Royaume-Uni. Il reste que les Jeux d'hiver 2002 ont propulsé la carrière politique de Mitt Romney. Et, quoi qu'en dise David Cameron, l'organisation des JO de Salt Lake City a été loin d'être facile.

Lorsque Mitt Romney a accepté d'en prendre les rênes, trois ans plus tôt, le Comité organisateur des Jeux baignait en plein scandale. Ses dirigeants étaient accusés de mauvaise gestion et, surtout, d'avoir acheté le vote de membres du Comité international olympique en les enterrant sous les cadeaux.

Mitt Romney est arrivé en sauveur. Fort de son expérience en gestion chez Bain Capital, il a mis de l'ordre dans un budget de 1,32 milliard. Il a effacé le déficit. Mieux: l'événement s'est terminé avec un surplus de 100 millions.

Bien que ses détracteurs l'accusent d'avoir battu tous les records en siphonnant des centaines de millions en fonds fédéraux, il est toujours considéré comme le «chevalier blanc» qui a remis les Jeux de Salt Lake sur les rails. Mitt Romney a non seulement prouvé qu'il était un habile gestionnaire; il a aussi montré ses capacités de politicien, en apaisant la controverse au sujet de l'influence de l'Église mormone sur les Jeux. Discrètement, il a convaincu les leaders mormons, très puissants à Salt Lake City, de jouer un rôle effacé. Lors de la cérémonie de clôture, Mitt Romney a déclaré qu'il ne pouvait imaginer vivre encore une fois une telle expérience. Pourtant, il avait déjà un nouvel objectif. «Il était évident qu'il avait des visées plus larges que les Jeux olympiques», a confié plus tard le président du Comité organisateur, Robert Garff. De fait, Mitt Romney a lancé sa campagne pour le poste de gouverneur du Massachusetts quelques semaines après les Jeux.

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Mitt Romney est considéré comme celui qui a remis sur ses rails les Jeux olympiques de Salt Lake City, éclaboussé par les scandales de corruption et de mauvaise gestion.

2006 - «RomneyCare»: la réforme d'un gouverneur

Ce fut sa principale réalisation en tant que gouverneur du Massachusetts. La loi sur la réforme de la santé, première du genre aux États-Unis, fournit un accès pratiquement universel aux soins médicaux grâce à des subventions gouvernementales - et à l'obligation, pour les contribuables de cet État, d'acheter leur propre couverture d'assurance maladie.

Quand le gouverneur Romney a signé son audacieuse réforme, le 12 avril 2006, il ne se doutait pas que, six ans plus tard, il traînerait le «RomneyCare» comme un boulet en campagne présidentielle.

C'est que la loi du Massachusetts ressemble à s'y méprendre à l'«ObamaCare», réforme honnie - et cible obligée - pour tout républicain qui se respecte.

Du coup, Mitt Romney, qui affirmait autrefois que sa loi était un modèle pour une réforme nationale, s'est fait plus discret et a soigneusement évité la question durant les primaires républicaines.

Les démocrates ont évidemment beau jeu de souligner que le candidat Romney promet l'élimination d'une réforme nationale de la santé... largement inspirée de la sienne!

Ce n'est qu'au mois d'août que Mitt Romney a commencé à parler du RomneyCare dans les médias. «Je suis très fier de ce que nous avons fait, et du fait que nous avons aidé les femmes, les hommes et les enfants dans notre État», a-t-il déclaré sur les ondes de Fox News.

Sa porte-parole Andrea Saul est allée plus loin, en réponse à une publicité démocrate qui accusait Mitt Romney d'avoir causé la mort de la femme d'un employé d'une usine fermée par sa société d'investissements, Bain Capital. La femme n'avait pas les moyens de payer les traitements contre son cancer. «Si ces gens avaient vécu au Massachusetts, sous le plan du gouverneur Romney, ils auraient eu accès à des soins de santé, a dit Mme Saul sur Fox News. Beaucoup de gens perdent leur emploi et leur accès aux soins dans l'économie du président Obama.»

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Le 12 avril 2006, Mitt Romney a signé sa principale réalisation en tant que gouverneur du Massachusetts: la réforme de santé de cet État, dont s'inspire... l'Obamacare.

2012- La métamorphose d'un mal-aimé

Les sondages de 2011 ne laissaient rien présager de bon pour Mitt Romney. Il était favori dans la course à l'investiture républicaine, mais l'ancien gouverneur du Massachusetts finissait souvent deuxième ou même troisième derrière des candidats plus ou moins crédibles, tels Herman Cain, Rick Perry et Michele Bachmann, entre autres.

Mitt Romney n'a pas eu la vie plus facile au cours des premiers mois de 2012. Devant des rivaux aussi peu présidentiables que Newt Gingrich et Rick Santorum, il a dû sortir l'artillerie lourde pour s'imposer auprès des militants du Parti républicain, dont plusieurs n'étaient pas convaincus de sa conversion à leur conservatisme pur et dur.

L'image de Mitt Romney a souffert de ce combat fratricide, qui a pris fin le 30 mai lorsque le candidat mormon a scellé son investiture grâce à une éclatante victoire à la primaire républicaine du Texas. Selon les sondages, les Américains avaient en majorité une opinion négative à son sujet.

La diffusion d'une vidéo secrète où Mitt Romney tient des propos méprisants sur 47% des électeurs américains n'a rien fait pour améliorer son problème d'image. Les démocrates l'ont exploité à coups de publicités où ils le décrivent comme un ploutocrate qui a fait fortune en exportant des emplois en Chine et en multipliant les placements à l'étranger.

Mais il a fallu à Mitt Romney un seul débat présidentiel - le premier - pour transformer cette image. En adoptant un discours plus modéré et en défendant ses idées avec fermeté, il a séduit plusieurs électeurs indécis ou indépendants et rassuré les républicains. Trois semaines plus tard, plusieurs sondages ont révélé que les Américains lui étaient désormais favorables en majorité.

Pour parachever sa métamorphose, Mitt Romney devra évidemment se faire élire à la Maison-Blanche. Mais, pour un politicien mal-aimé au début de 2012, ce qu'il a déjà accompli est remarquable.