Tout en changeant de façon inattendue et audacieuse la teneur de la campagne présidentielle américaine, Mitt Romney a réussi samedi matin un exploit peu commun par son choix de colistier: réjouir à la fois les républicains et les démocrates.

Né il y a 42 ans à Janesville, au Wisconsin, Paul Ryan est devenu le héros des conservateurs en prêtant son nom à un plan budgétaire radical, adopté en 2011 par la Chambre des représentants, où ce disciple de l'écrivaine Ayn Rand, papesse du capitalisme à tout crin, siège depuis 1999. Ce plan, qui a été rejeté par le Sénat, prévoit notamment des compressions draconiennes dans les dépenses publiques - environ 6000 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années - et une réduction des taux d'imposition des particuliers et des sociétés qui priverait l'État fédéral de 4000 milliards de dollars de recettes fiscales en 10 ans.

«Choisis Paul Ryan, le leader intellectuel du Parti républicain, l'homme qui a posé les jalons du programme politique de l'après-Obama», avait conseillé à Mitt Romney l'analyste William Kristol, la semaine dernière, dans l'hebdomadaire conservateur The Weekly Standard.

Avant même que Mitt Romney n'exauce le voeu de Kristol et de plusieurs autres tenants de la droite, Barack Obama et son équipe de campagne tentaient de lier l'ancien gouverneur du Massachusetts au plan Ryan, qualifié par le président de «darwinisme social à peine voilé». Or, depuis samedi, ce lien est encore plus facile à établir, puisque le nom de Paul Ryan apparaît désormais au côté de celui de Mitt Romney sur le «ticket» républicain.

«Le représentant Ryan est un idéologue de droite et les positions qu'il a prises en sont le reflet», a déclaré David Axelrod, stratège de Barack Obama, dimanche matin sur CNN.

Aveu de vulnérabilité

Jugé audacieux par plusieurs commentateurs, le choix de Paul Ryan comme colistier n'en demeure pas moins un aveu de vulnérabilité de la part de Mitt Romney. Le fondateur de la société d'investissement Bain Capital voulait faire de l'élection présidentielle un référendum sur la gestion économique de Barack Obama. Or, les plus récents sondages, favorables au président, ont dû le convaincre que cette stratégie risquait de ne pas suffire à déloger son rival démocrate de la Maison-Blanche.

Avec Paul Ryan à bord, Mitt Romney transforme du jour au lendemain la teneur de la campagne présidentielle, en invitant les électeurs à faire un choix entre deux visions différentes de la taille et du rôle de l'État.

«Nous sommes à un tournant, nous avons le choix entre deux avenirs qui se dessinent devant nous», a déclaré Paul Ryan samedi à Ashland, en Virginie. «Nous voyons une nation endettée, qui doute, qui est de plus en plus désespérée. Il n'y a pas de fatalité à cela. Nous pouvons changer les choses.»

Jeune, dynamique et intelligent, Paul Ryan pourrait contribuer à relancer la campagne de Mitt Romney, qui a déçu plusieurs conservateurs par sa timidité et ses gaffes. Il pourrait aussi permettre au «ticket» républicain de remporter son État natal, le Wisconsin, et d'augmenter sa popularité chez ses coreligionnaires catholiques.

Mais Paul Ryan est aussi un choix beaucoup plus risqué que ne l'aurait été le sénateur de l'Ohio Rob Portman ou l'ex-gouverneur du Minnesota Tim Pawlenty, deux autres colistiers potentiels. Barack Obama et ses alliés démocrates ne manqueront pas d'attirer l'attention des électeurs sur les compressions proposées par le représentant du Wisconsin dans Medicaid et Medicare, les programmes d'assurance maladie destinés aux plus pauvres et aux plus âgés. Dans un État-clé comme la Floride, le plan Ryan pourrait couler les républicains.

Intellectuel courageux ou frimeur?

Le camp Obama tentera également de mettre en doute le sérieux et l'honnêteté de Paul Ryan, qui croit pouvoir lutter contre les déficits sans toucher aux dépenses militaires ou augmenter les impôts des plus fortunés. Selon plusieurs démocrates, le colistier de Mitt Romney n'est pas un intellectuel courageux, mais un frimeur de première classe.

Ironiquement, Paul Ryan a passé sa vie adulte à travailler au sein du gouvernement fédéral - celui-là même que dénoncent les conservateurs. Avant même d'être élu, à 28 ans, à la Chambre des représentants, ce diplômé en science politique et économique de l'Université de Miami en Ohio a servi d'adjoint à deux élus républicains du Congrès.

En 2005, lors d'un discours à Washington, il a admis que son choix de carrière a été fortement influencé par Ayn Rand, auteure des romans à thèse Fountainhead et Atlas Shrugged, entre autres.

«Et le combat dans lequel nous nous trouvons ici, ne vous trompez pas, est un combat de l'individualisme contre le collectivisme», a-t-il déclaré devant des disciples d'Ayn Rand.

En avril dernier, Ryan a non seulement rejeté la philosophie de l'auteure de The Virtue of Shelfishness («La vertu de l'égoïsme»), mais a également nié avoir été influencé par celle-ci.

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Un «ticket» républicain inédit

En choisissant Paul Ryan comme colistier, Mitt Romney a créé un précédent: pour la première fois de l'histoire américaine, le «ticket» présidentiel d'un des deux grands partis américains ne comptera aucun protestant.

L'ancien gouverneur du Massachusetts est mormon, alors que le représentant du Wisconsin est catholique. Barack Obama sera donc le seul protestant parmi les candidats des deux grands partis américains, puisque Joseph Biden est également catholique.

Le «ticket» républicain se distinguera également par son absence d'expérience en matière de politique étrangère et de sécurité nationale, deux domaines dans lesquels les républicains ont longtemps été avantagés.