Le gouvernement tunisien a annoncé mercredi qu'il appliquera deux décrets garantissant la liberté de la presse, cédant à une revendication phare des médias le jour d'une grève nationale des journalistes pour dénoncer les atteintes à leur indépendance.

L'application des décrets 115 et 116, signés le 2 novembre 2011 par l'ex-président intérimaire Foued Mebazaa, était bloquée par le gouvernement de coalition dirigé par les islamistes d'Ennahda depuis son arrivée au pouvoir fin 2011.

Les autorités jugeaient ces textes incomplets, mais n'en avaient jamais rédigé de nouveaux si bien qu'elles étaient accusées d'avoir un pouvoir discrétionnaire sur les médias.

Le décret 115 résume notamment les droits des journalistes, interdisant les restrictions à la circulation de l'information et protégeant les sources des journalistes.

Le décret 116 crée une Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle garantissant « la liberté de communication audiovisuelle ». Cet organe est appelé à délivrer les licences des radios et télévisions tunisiennes.

Le gouvernement n'a cependant pas annoncé mercredi de calendrier pour la mise en oeuvre des décrets.

Zied El Heni du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) s'est dit satisfait de cette décision, mais a regretté « le temps perdu » par le gouvernement et « les conflits » que cela a engendrés.

« Nous considérons que cette décision est une réponse à l'une de nos demandes essentielles », a-t-il dit, appelant le pouvoir à « accélérer l'exécution de cette décision ».

Pour les médias, la guerre est encore longue

Le communiqué du gouvernement ne mentionne cependant pas les autres revendications des journalistes en grève, en particulier le limogeage des directeurs de médias publics nommés ces derniers mois et qui sont accusés de complaisance voire de soumission à l'égard du pouvoir actuel.

La grève de mercredi a été très suivie, les médias publics et privés n'ayant dans l'ensemble couvert que le débrayage et la décision du gouvernement sur les décrets 115 et 116.

La présidente du SNJT, Néjiba Hamrouni, s'est félicitée de cette mobilisation. « Tous les journalistes des (médias) publics et privés sont avec la grève », a-t-elle assuré.

Quelques centaines de journalistes ont manifesté en début d'après-midi à Tunis au siège du SNJT, scandant notamment « Une presse libre, des journalistes indépendants ». Certains avaient collé sur leur bouche des autocollants barrés du mot « Censuré ».

Plusieurs fois repoussée, la grève de mercredi a été finalement décidée après l'échec répété de négociations entre le gouvernement et les médias, dont la relation est devenue délétère.

Le journal Le Quotidien a ainsi relevé dans un éditorial offensif mercredi que le pouvoir cherchait à placer la liberté de la presse « sous sa botte ». « La grève d'aujourd'hui n'est qu'une bataille, la guerre est encore longue », martèle-t-il.

Le gouvernement a toujours démenti s'attaquer à la liberté des médias, un acquis de la révolution de 2011, mais assure vouloir purger le secteur des tenants du régime déchu du président Zine el Abidine Ben Ali.

Plusieurs affaires de liberté d'expression ont défrayé la chronique ces derniers mois.

Le patron d'une chaîne de télévision, Sami Fehri, a accusé en août le gouvernement d'avoir fait pression pour arrêter une émission satirique. Peu après, il était placé en détention dans le cadre d'une affaire de corruption.

Début juillet, l'instance chargée de la réforme des médias s'est sabordée en accusant le gouvernement d'user d'« outils de désinformation et de censure ».